Après le travail, vient la retraite ?

Après le travail, vient la retraite. Nous travaillons toute une vie puis, quand l’heure a sonné, nous nous retirons du monde professionnel. Du monde, tout court ? 

Quand je pense à la retraite, je pense d’abord à ce moment, à la fois tant attendu mais aussi tant redouté, de la retraite, professionnelle. Ce moment où nous passons d’une journée, ou d’une nuit, occupée et rythmée (dévorée ?) par le travail à une journée hors d’un temps qui n’est plus comptabilisé (et qui ne compte donc plus ?). 

Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), le terme « retraite » désigne « l’action de se retirer ou fait d’être retiré ». D’un point de vue administratif, il fait référence à « l’état d’une personne qui a cessé toute fonction, tout emploi, en raison de son âge ou d’une incapacité et qui a droit à une pension ». D’un point de vue social, il s’entend comme étant « l’action de se retirer de la vie active publique ou mondaine en prenant de la distance par rapport aux gens et aux choses ». Et au sens figuré, qui est bien souvent mon petit préféré, il désigne « une partie cachée, secrète, intime ». 

Le terme « retraite » est également utilisé dans des contextes spécifiques, certains de ses différents sens m’ont interpellé à la lecture, je vous laisse y regarder de plus près par vous-mêmes, si cela vous intéresse. 

ESCRIME : 
« Mouvement arrière, par lequel on se met hors de l’atteinte des bottes que porte l’adversaire »

MILITAIRE : 
« Sonnerie annonçant qu’il est l’heure de rentrer »
→ [Battre en retraite] « Céder devant un adversaire ; abandonner certaines prérogatives ou privilèges »
→ [Couvrir la retraite] « Protéger »

RETRAITE DES EAUX : 
→  « Mouvement descendant de la marée; baisse du niveau de la mer due à des phénomènes géologiques »

J’entends souvent que tout travail mérite retraite.

Nous l’attendons parfois avec impatience, cette retraite bien méritée, nous pouvons parfois la prendre en anticipée, ou alors au contraire ne pas avoir envie de « nous arrêter » (car ne plus travailler c’est se retrouver arrêter, à l’arrêt ?). Parfois elle nous frappe alors que nous ne l’attendions pas, d’autres fois nous ne l’atteindrons jamais, cette retraite, notre retraite. Nous nous disons peut-être quelquefois que nous n’avons jamais autant « travaillé » qu’à la retraite (coucou papa), que nous ne nous « arrêtons » jamais, finalement. Nous profitons de notre retraite ou nous la subissons, parfois peut-être un peu des deux à la fois. 

Tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’après le travail, vienne la retraite. C’est le cycle de la vie, comme qui dirait. Pourtant, la « retraite » a-t-elle toujours été une évidence, un droit acté, et le sera-t-elle toujours ? Seules les personnes qui ont travaillé, et même comme je l’entends de plus en plus, « bien travaillé, durement travaillé », le mériteraient-elles, ce droit ? Pourquoi passer une vie (de travail) à attendre une retraite qui n’arrivera peut-être jamais, ou qui finalement se sera pas telle que nous nous l’étions imaginé·es ? Se retirer professionnellement signifie-t-il se retirer tout court, dans un monde gravitant autour du travail ? Ou au contraire, arrêter d’être un satellite, c’est-à-dire un corps en orbite autour d’un corps plus massif ? 

Travailler dur… en attendant la retraite ?

Au bout de quinze ans de chômage, on devrait avoir droit à une retraite de chômeur. 

Georges Wolinski, dessinateur et journaliste

Travailler se justifierait par la retraite (rêvée) qui nous attend. La retraite se justifierait par le (dur) travail effectué en amont. Nous retrouvons là une parfaite application du célèbre dicton du bâton et de la carotte. Attention, « si vous ne travaillez pas (bien), vous n’aurez pas le droit à une (bonne) retraite ». Mais, « si vous travaillez (bien), vous l’aurez, votre (bonne) retraite, mon bon Monsieur et ma bonne Dame ».

Et vous ne vous éloignerez pas du droit chemin du travail conduisant à l’heureuse (et bien méritée) destination de la retraite. Mais la route est-elle aussi simple que cela, la même pour tout le monde ? 

La retraite, aux travailleur·euses ?

En finance, faire sa retraite, c’est se retirer des affaires pour vivre paisible et dégagé de tous les soins qu’elles entraînent. Demander sa retraite se dit d’un employé qui, après avoir rempli les fonctions attachées à son titre pendant un long espace de temps, désire jouir du calme de l’esprit et du repos du corps, qui sont si nécessaires quand la vieillesse commence à appesantir toutes les facultés.

« Pensions et retraite », de l’édition de 1791 du Supplément Finances de L’Encyclopédie méthodique, de Diderot et d’Alembert

La « première retraite » en France remonterait à la fin du XVII° siècle, et plus précisément à 1673, lorsque Jean-Baptiste Colbert, alors ministre des Finances de Louis XIV, créa « la Caisse des Invalides de la Marine Royale ».

Et non pas « la Caisse des retraité·es » ou « la Caisse de la retraite ». Le choix de mot, « Caisse des Invalides », est intéressant. Il sous-entend qu’à cette époque, un choix a été fait de collecter et de verser de l’argent aux personnes « invalides », c’est-à-dire aux « personnes n’étant pas en état de mener une vie active, du fait de leur mauvaise santé, de leurs infirmités, etc. ». Le critère déterminant alors l’accès à cette pension n’était donc pas l’âge, ou encore un nombre défini d’années de travail atteint mais l’état de santé du travailleur, en l’occurence du marin (notez qu’ici je n’emploie pas l’écriture inclusive puisque marin était un métier, comme beaucoup d’autres à cette époque, d’hommes, d’ailleurs comment appelons-nous une femme marin ? Une marine ? Une marinette ?). 

D’autres régimes de « retraite » seront par la suite mis en place progressivement au XIX° siècle, pour certaines classes professionnelles liées à l’État qui forment, encore aujourd’hui (mais peut-être plus pour très longtemps ?), les régimes dits « spéciaux » (pensions militaires, pensions civiles des agents de l’État, retraite des mineurs, retraite des cheminots, retraite des ouvriers de l’État). Le secteur privé prendra son temps pour également proposer un régime de retraite (comme toujours en matière de droit ?), et c’est en 1930 que le premier régime de retraite obligatoire sera mis en place. 

D’après l’historien Jean-Pierre Bois dans Les Vieux. De Montaigne aux premières retraites (Fayard, 1989), la question de la retraite prend racine dans trois principales idées (idéaux ?)

 → La solidarité sociale : le droit à l’assistance devient alors un service public
 → L’utilité de cette assistance : qui permettrait d’éviter le vagabondage et la misère des personnes âgées 
 → La justice réparatrice : car il n’est pas juste d’abandonner un·e citoyen·ne qui a travaillé toute sa vie

Mais que signifie avoir travaillé « toute sa vie », ou encore « un long espace de temps » ? Et que signifient ces nouveaux termes que j’entends de plus en plus souvent dans le discours public tels que : avoir « travaillé dur » ou encore avoir « bien travaillé », comme si « avoir travaillé toute sa vie » ne suffisait plus et qu’il fallait maintenant montrer que nous n’avions non pas seulement travaillé mais travaillé « dur » (et même plus dur que les autres ?). 

Une personne, qui aurait été au chômage plusieurs années faute de trouver un emploi, aurait moins d’années de travail au compteur. Cela signifie-t-il pour autant qu’elle n’aurait pas travaillé, pas suffisamment, pas comme il le fallait ? Une personne, ayant travaillé au foyer sa vie durant ou seulement un temps, ne partirait soit techniquement jamais à la retraite soit ne verrait pas ces années-là comptabilisées et aurait donc, encore une fois, moins de temps travaillé déclaré et reconnu. Cela veut-il dire que cette personne n’aurait, encore une fois, pas travaillé, pas suffisamment, pas comme il le fallait ? 

Et même si nous prenons deux personnes ayant travaillé le même nombre d’années et, poussons la comparaison à son paroxysme, le même nombre d’heures, cela signifie-t-il qu’elles ont équivalemment travaillé et ont donc le droit (équivalent) de partir à la retraite, en même temps ? Mais si elles ont équivalemment (bien) travaillé pourquoi alors seul le moment de départ à la retraite est équivalent ? Pourquoi le montant de leur pension ne serait-il pas équivalent également ? Sur quels critères et définis par qui, évalue-t-on que nous avons bien travaillé, suffisamment travaillé, et que nous « méritons » donc notre retraite, la nôtre et pas celle du voisin ou de la voisine ? 

La « retraite », le plus tôt possible ?

Les membres du mouvement FIRE sont d’accord sur un point : de nos jours on gagne plus grâce aux marchés financiers qu’en travaillant, pas étonnant donc que beaucoup de personnes ayant entre 20 et 40 ans rêvent de faire travailler leur argent plutôt que de se tuer à la tâche.

Retraite à 40 ans, Arte Regards, 2021 (documentaire)

Le mouvement FIRE, de l’anglais « Financial Independence, Retire Early », signifie littéralement dans notre langue de Molière : « Indépendance financière, retraite précoce ». Tout est dit, non ?

Qui ne s’est jamais imaginé·e à quoi ressemblerait sa vie si il ou elle n’avait plus besoin de travailler ? En gagnant, par exemple, au loto ou encore en touchant chaque mois un montant suffisant lui permettant de vivre, sans travailler (plutôt que de travailler, sans vivre ?). 

Et bien, c’est ce qu’expérimentent (car la vie est une expérience ?) les adeptes du mouvement FIRE tels que ceux et celles que suit le documentaire Arte Regards intitulé « Retraite à 40 ans », sorti ce mois-ci. Ils et elles ont pour projet de vie de dépenser le moins d’argent possible jusqu’à temps d’avoir assez investi pour que leur argent « travaille tout seul » (car oui, l’argent ça travaille) et qu’ils et elles puissent ainsi ne plus être dépendant·es de leur boulot. 

Selon le « jeune retraité » Mr Money Mustache (avec un nom comme ça, le mec doit s’y connaître, non ?), « si vous parvenez à mettre la moitié de vos revenus de côté et ce dès l’âge de 20 ans, vous serez en mesure de prendre votre retraite à 37 ans » . Il précise que plus on épargne, plus on peut partir tôt (élémentaire mon cher Mr Money Mustache) et estime qu’en épargnant 75%, 7 années « d’activité » suffirait. Y a de quoi rêver, me diront certain·es. Ça ressemble bizarrement aux annonces « comment gagner 100 000 euros en 10 min sur internet ? » me répondront d’autres. Et d’abord, comment faisons-nous pour ne pas utiliser 50 à 75% de notre salaire quand ce dernier couvre déjà difficilement ou peu largement nos dépenses de base ? 

Et quand bien même, soyons un peu fous et folles, une personne au SMIC réussirait à mettre 75% de son salaire pendant 7 ans, comme l’estime Mr Money Mustache, ça nous donnerait (minute, je fais des maths) 75% de 1555 euros (en arrondissant), c’est-à-dire 1166 euros mis de côté sur 12 mois (=13 992 euros) pendant 7 ans, ce qui nous donne un total de 97 944 euros (si ma calculette n’a pas fait d’erreur). Ça ne me semble pas énorme (suffisant ?) pour s’arrêter au bout de sept ans et vivre le reste de sa vie en « retraité·e précoce », si ? 

Ceci dit, Mr Money Mustache le concède également « Comment une famille américaine avec deux profs, dont chaque membre gagne 60 000 dollars par an et qui a déjà du mal à s’en sortir pourrait tranquillement mettre 5000 dollars de côté chaque mois ? ». Effectivement, sachant qu’un salaire annuel de 60 000 dollars équivaut précisément à 5000 dollars par mois, ça paraît compliqué, merci de le préciser. Mais bon, comme le conclut cet article « À défaut de pouvoir suivre leurs exemples jusqu’au bout, la lecture de leurs parcours a au moins le mérite de nous rappeler qu’une autre voie est possible ». Ou pas ? Personnellement, je ne vois pas en quoi c’est inspirant de nous présenter quelque chose en concluant que c’est une voie possible… pour d’autres. « Déso’ c’est cool mais pas pour toi mon coco ». Et d’ailleurs, est-ce si « cool » que cela ?

Les personnes se revendiquant du mouvement FIRE, ou cherchant à partir à la « retraite » le plus tôt possible, parlent tous et toutes de cette envie de liberté, liberté passant par le fait de se libérer d’un travail, qu’il ou elle apprécie parfois par ailleurs. Mais pouvons-nous parler de retraite dans ce qui ressemble surtout à un système de rente individualiste ? Ces personnes ne sont-elles tout bonnement pas des rentières, qui ne disent pas leur nom ? Et pouvons-nous parler de liberté lorsque nous dépendons d’investissements, immobiliers ou autres, ou encore de placements financiers pouvant perdre leur valeur à tout moment, au grès d’un marché que nous ne contrôlons pas ? 

« Une vie de travail doit offrir une pension digne (…) toute retraite pour une carrière complète devra être supérieure à 1000 euros par mois » a récemment prononcé notre président actuel, Emmanuel Macron. La retraite, aux travailleur·euses.

Ce n’est pas le premier à parler de « vie de travail » conditionnant « une pension digne ». J’entends souvent parler de « dignité », de « vie digne », « de salaire digne », « de pension digne », sous-entendant le minimum, requis ou souhaité, pour assurer cette dite dignité. Mais l’indignité se trouve-t-elle toujours et seulement en dessous d’un certain seuil ? N’y a-t-il pas une certaine indignité au dessus, également (inégalement ?), d’un certain seuil ?

Se retirer ou être retiré·e, là n’est pas la même question ?

(…) le travail relève à la fois de l’économie et de la culture ; c’est à la fois un moyen de gagner sa vie et une source de reconnaissance sociale et d’estime.

La tyrannie du mérite, Michael J. Sandel, éditions Albin Michel, 2021

Là ou certain·es, comme les adeptes du mouvement FIRE ne rêvent que de retraite, de se retirer, le plus tôt possible, d’autres au contraire angoissent, voire ne veulent pas lâcher l’affaire (leur(s) affaire(s) ?), être retiré·es, partir à la retraite. 

Le terme de « retraite » a d’ailleurs ce double sens « de se retirer » ou « d’être retiré·e ». D’être actif·ve ou d’être passif·ve. De choisir ou de subir. Ceci dit, ne pouvons-nous finalement pas apprécier quelque chose que nous aurions, a priori, subi ou tout du moins laissé venir et/ou regretter quelque chose que nous aurions, a priori, choisi ou tout du moins impulsé, voire un peu des deux à la fois ? 

 L’heure est venue de partir, à la retraite ? 

(…) Être sans emploi, ne pas être utile pour vos concitoyens, c’est véritablement se transformer en l’Homme invisible dont parle Ralph Ellison

Robert F. Kennedy, communiqué de presse, Los Angeles, 19 mai 1968

Robert F.Kennedy, lorsqu’il parle « d’être sans emploi » fait référence au fait d’être au chômage. Ceci dit, lorsque nous sommes à la retraite nous nous retrouvons également sans emploi, non ? 

Alors, certain·es souligneront qu’être au chômage ou être à la retraite, ce n’est tout de même pas la même chose. Certes, dans le cas de la retraite, nous sommes « autorisé·es » à ne plus travailler, c’est la suite logique du triptyque (triangle qui t’envoie aux Bermudes ?) « études-travail-retraite », alors que dans le cas du chômage nous sommes censé·es (sommé·es ?) d’en retrouver un, de travail. Là où le chômage est une (malheureuse ?) sortie de route, la retraite est le dernier stop de tous les stops, la dernière destination de toutes les destinations. Ce pour quoi nous avons parcouru tout ce chemin ?

La retraite semble alors plus facile à vivre que le chômage. Plus facile car la retraite s’inscrit dans un schéma collectif, une norme sociale. Plus facile car la personne à la retraite « mérite », après une vie de travail, sa situation, son statut. Alors que le statut « chômeur·euse », il faut bien l’avouer ça ne fait pas trop (pas du tout ?) rêver. Alors que la retraite, ça, ça fait rêver, non ? S’il y a bien une chose pour laquelle ça vaut le coup de travailler c’est la retraite, n’est-ce pas ? 

Alors nous partons, gaiement. Tic-tac, tic-tac, l’horloge biologique (sociétale ?) a sonné. Nous nous retirons, nous sommes retiré·es, ou un peu des deux à la fois. Nous sommes devenu·es trop « seniors » (vieux et vieilles ?) pour travailler. Est-ce pour cela qu’on dit que « le travail, c’est la santé » ? 

Alors certain·es me diront peut-être qu’ils et elles n’attendent que cela, la retraite. Ou que, sans l’attendre, ils et elles savent qu’ils sauront s’occuper une fois le temps de la retraite venu, que cette « inactivité » forcée ne leur fait pas peur. Et puis, qu’au bout d’un moment, nous sommes peut-être bien heureux·euse de pouvoir nous retirer du tumulte de la vie (de travail), de trouver du réconfort dans le calme, de faire sa petite vie tranquillou comme on dit. Alors, c’est sûr qu’une personne desséchée par le travail y verrait probablement là une oasis. Mais une fois que nous aurons étanché notre soif, que se passera-t-il ? Ne finirons-nous pas, comme parfois quand nous étions jeunes et avions de « grandes vacances d’été », par compter les jours jusqu’à la rentrée ? 

Ne nous retrouverions-nous pas, à un certain moment à bout d’activités ? À trop de jours qui se ressembleraient ? D’autant plus si autour de nous tout le monde travaille ou presque, et qu’une grande partie des activités sociales et même des lieux communs sont aujourd’hui payants. Qui a dit qu’une (bonne) retraite, ça n’avait pas de prix ?

Ce qui me chagrine, au fond je crois, c’est que l’on perçoit et qu’on acte qu’à un certain âge on doit « se retirer ». Se retirer du monde « professionnel » certes, mais dans un monde dans lequel nos journées et nos vies sont rythmées par le travail (et la consommation) quel monde nous reste-t-il, d’autre ? 

Et que se passe-t-il pour ceux, et surtout celles, qui n’ont pas « travaillé », tel que notre société le reconnait ? Pouvons-nous partir à la retraite, avoir une retraite, être à la retraite si nous n’avons pas eu un travail considéré comme tel ? Que signifie la retraite pour les femmes (et les hommes, soyons inclusif·ves à défaut d’être réalistes n’est-ce pas ?) au foyer ? Quelle reconnaissance économique de leur travail ? Et quel date de « départ à la retraite » ? S’arrêteront-elles (et parfois ils) subitement, à 60 ou 65 ans, de mener à bien leur travail domestique ? « Fini le ménage, le repassage, la cuisine, le soin aux autres, ciao c’est l’heure de la retraite » ? Et même pour une femme ayant eu un « vrai travail », c’est-à-dire rémunéré puisqu’il n’y a que ça de vrai il paraît, ne risque-t-elle pas d’avoir certes une retraite de ce dit travail mais point de retraite de son autre travail, ce travail à l’ombre du foyer ? 

Se retirer de la société sans en être retiré·e ?  

Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes.

Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe

Homme parmi les hommes. Et femme parmi les femmes. Au foyer. L’égalité des sexes se trouverait-elle finalement dans la retraite ? Rien n’est moins sûr puisque même en travaillant « à l’extérieur », les femmes prennent, encore aujourd’hui, en charge la majorité du travail domestique. Mais bon, laissez-moi rêver un peu. Et puis, peut-être que certains couples sortiront de leurs vieilles habitudes (sexistes) une fois en retraite, pour rééquilibrer la balance domestique, qui sait ? Quitte à être « retiré·e » en son foyer, autant s’en occuper non ? 

Nous pourrions penser d’ailleurs que ce serait l’occasion de nous en occuper de notre foyer. De faire tous les bons petits plats que nous nous imaginions faire si nous avions eu plus de temps lorsque nous travaillions (trop), de prendre soin de notre chez nous, de nos proches. Mais non, ça ne suffit pas. Pourquoi ? Parce que nous avons besoin de reconnaissance sociale. Nous sommes des animaux sociaux, tout ça, tout ça. Et que, pour le travail domestique et la reconnaissance sociale, on repassera (ou plutôt non, on ne repassera pas, allez grève générale du fer à repasser). 

C’est un assez bon indicateur d’ailleurs, lorsqu’une personne n’a pas spécialement envie de prendre sa retraite, cela signifie en général que son besoin de reconnaissance social est comblé. Qu’elle a un travail lui permettant de contribuer à la société, d’avoir une place, d’être estimée et reconnue, ce qui ne signifie pas que son travail n’est pas difficile et qu’elle n’en n’a pas marre parfois, mais elle sait pourquoi elle le fait et elle en est fière. En revanche, une personne ayant un travail qui n’est pas ou peu reconnu, vous savez ces fameux boulots (d’) « invisibles », ces « jobs de merde » souvent mal payés et pénibles quoique nécessaires, ou encore ces « jobs à la con » quand à eux souvent bien payés mais dont l’unique utilité semble être de nous occuper, à quoi ça on ne sait pas mais ce n’est pas le sujet, il paraît. 

Alors voilà, d’un côté certain·es ne veulent pas lâcher leur identité et statut social « valorisés » (dominants ?), et le pouvoir qui va avec. De l’autre certain·es sont probablement bien content·es d’en sortir, de cette « sous-place » (non-place ?) dans la société qui était la leur. Mais la retraite règle-t-elle, comme par magie, ce grand écart d’identité, de revenus, de privilèges et de pouvoir en tournant la page du travail ? Encore une fois, permettez-moi de rêver un peu. 

Mais donc, c’est chouette de se retirer, notamment pour ceux et celles dont le boulot était pénible et aliénant, me direz-vous. Oui, j’imagine que oui. Et en même temps, je ne peux m’empêcher de me demander si ce n’est pas également, quoique probablement différemment, aliénant d’être « retiré·e ». 

Il y a peu, j’ai lu le livre La tyrannie du mérite, de Michael J. Sandel. Un chapitre de ce livre passionnant était dédié au travail et plus précisément au fait de « reconnaître le travail ». Il y parlait notamment de notre double identité de consommateur·ice et de producteur·ice, double identité souvent réduite par les politiques et la société à la première, celle de consommateur·ice, sous-entendant que tant que notre travail (ou plutôt notre salaire) nous permet de « vivre » (consommer ?), nous pouvons nous en satisfaire. Nous pouvons appliquer le même raisonnement à la retraite, en nous disant que tant que tous·tes les retraité·es, ce qui n’est par ailleurs pas encore le cas aujourd’hui, perçoivent une pension leur permettant de payer leurs factures et d’avoir un « pouvoir d’achat », tout roule dans le meilleur des mondes, non ?

Non, car penser ainsi c’est nier notre besoin de contribution, c’est considérer qu’à partir du moment où nous recevrions (achèterions), produire (contribuer) n’est que secondaire (voire hors sujet). Or la « justice contributive », pendant de la « justice distributive », est tout aussi importante. Qui n’a jamais été déprimé·e, ou tout du moins ébranlé·e lors d’une période « sans travail » et ce même si sa situation économique lui permettait de vivre ? Nous avons tous et toutes besoin de contribution, de contribuer au bien commun, d’avoir un « rôle social », reconnu, d’être reconnu·e au double sens de « vu·e » et de « valorisé·é ». Les personnes à la retraite ne font pas exception à la règle, ce sont des humains comme les autres. Nier leur contribution revient à nier leur humanité. 

La ville de Toyota au Japon (merci Aurélia pour le conseil lecture si tu passes par là) a expérimenté un phénomène appelé « retour à la terre après la retraite (teinen kinô) ». L’idée étant que les activités agricoles, l’agriculture étant considérée comme un bien commun, permettraient aux personnes âgées d’être en meilleur santé, de se sentir mieux, en faisant une activité sociale au contact de la nature qui alimenterait ce que les japonnais·es appellent « Ikigai » signifiant « sens de la vie ».

Se « retirer », « être retiré·e » (jusqu’à ce que mort s’en suive ?) ne fait pas sens pour moi. En revanche, se « retirer » sans « être retiré·e » résonne déjà plus. Cette possibilité de ne pas être jugé·e (et condamné·e ?) inactif·ve dès lors que nous ne cocherions plus la case « travail » officielle. De pouvoir « se retirer » mais de pouvoir être là. De pouvoir contribuer et non pas seulement « consommer », ou vivre replié·e. Car ce n’est pas parce que le monde du travail effréné juge que nous sommes trop vieux et vielles pour travailler que nous ne pouvons plus contribuer, loin de là. 

PS : Rendez-vous dans 35 ans quand je serais passé·e du côté obscur de la retraite et que je relirais cet article en me disant, euh en me disant quoi ? Et bien bonne question, j’ai déjà hâte de savoir ce que j’en penserais !

Et vous qu’en pensez-vous ? Êtes vous à la retraite et si oui comment le vivez-vous ? Et si non, avez-vous déjà pensé à la retraite ? Quel est votre avis sur la question ? 

N’hésitez pas à réagir en commentaire, c’est fait pour cela ! Et si vous avez Instagram, vous pouvez aussi venir discuter par ici !

SOURCES CITÉES ET ALLER PLUS LOIN

↓ Vous avez trouvé cet article intéressant ? Partagez-le !

Laisser un commentaire

J'ai envie de suivre cette discussion et d'être prévenu·e par email d'une réponse à mon commentaire.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.