Et si la charge virtuelle était bien réelle ?

En ce moment, je ressens une charge virtuelle (mais bien réelle ?) de plus en plus pesante dans ma vie, professionnelle et pas que. J’avais déjà questionné l’hyperconnexion dans un de mes précédents articles et en y réfléchissant je trouve que nous parlons beaucoup de charge mentale (et tant mieux !), mais que nous parlons encore trop peu de l’impact du numérique dans nos quotidiens, ce notamment dans la sphère professionnelle.

C’est pourquoi j’ai eu envie d’inscrire noir sur blanc, à ma petite échelle, cette idée de « charge virtuelle », dont je n’ai pour le moment jamais entendu parler en ces termes et qui ne semble même pas exister lorsque je cherche cette expression sur mon navigateur de recherche préféré. Ceci dit, quoi de plus compréhensible ? Pour mon navigateur ce n’est pas une charge, c’est sa raison d’être, non ?

Une charge virtu… quoi ?

Vous connaissez probablement la notion de « charge mentale » ? Cette notion a été popularisée en 2017 par la dessinatrice Emma dans sa BD « Fallait demander ! » illustrant le poids mental pesant sur les femmes dans la sphère domestique. Mais saviez-vous qu’elle était issue du champ de la sociologie du travail ? Le terme « charge (de travail) mentale » est effectivement apparu dans les années 80 faisant ainsi écho à la « charge (de travail) physique ».

Avec l’usage croissant du numérique, il me semble pertinent d’identifier une troisième charge : « la charge virtuelle ». Cette « charge virtuelle » fait écho à « la charge mentale de la journée “redoublée” » (combo (gagnant ou pas ?) de travail salarié et de travail domestique) telle que définie par la sociologue Monique Haicault, qui a été la première à utiliser cette expression de « charge mentale » dans la sphère du travail domestique en référence à la charge mentale spécifique des femmes (La gestion ordinaire de la vie en deux, 1984). Elle en parle en ces termes : « la charge mentale de la journée “redoublée” est lourde d’une tension constante, pour ajuster des temporalités et des espaces différents, mais non autonomes, qui interfèrent de manière multiplicative ».

À cette lecture, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec ce que je nomme « charge virtuelle », qui est également lourde d’une nécessité de gérer des espaces-temps différents mais inextricablement enchevêtrés.

Effectivement, nous sommes habitué·es à traiter des e-mails chez nous ou dans les transports tout en parlant avec un membre de notre famille ou de notre coloc’, en surveillant un plat en train de cuire, ou en recevant et émettant en parallèle des messages privés. Nous sommes habitué·es à être à un endroit X connecté·es à un endroit ou des endroits Y, partout (et donc nulle part ?) à la fois. Nous sommes habitué·es à faire des tâches « in real life » (« in real desktop »), que nous devons doubler virtuellement : une discussion orale qu’il faut confirmer ou récapituler par e-mail, une réunion comodale nous plaçant avec certaines personnes dans la même pièce et d’autres en visio. Nous sommes habitué·es à ne plus seulement chercher (devoir ?) nous rendre « visible », mais aussi e-visible.

La charge de travail, qu’elle soit « physique », « mentale », ou encore « virtuelle » désigne, en psychologie, un « niveau de mobilisation du sujet pour accomplir une opération donnée ». Il est alors possible de parler de sous-charge (quand la mobilisation de l’individu est inférieure à ses capacités) ou de surcharge (lorsqu’elle les dépasse). En ergonomie (Montmollin, 1986), elle est définie comme « ce qui pèse sur le travailleur » et qu’il importe donc de réduire ou d’aménager.

Ainsi l’usage du numérique n’est pas un problème, en soi. Le problème, comme souvent, est l’effet de surcharge qui transforme un usage ou une activité en poids voire en souffrance ou en maladie.

Pour moi, la charge virtuelle dans mon quotidien de travail c’est ?

→ Pouvoir (et donc être tentée de) / devoir (et donc me sentir obligée de) consulter mes e-mails ou mon portable en dehors de mes horaires de travail
→ Ressentir un déséquilibre entre mon corps et mon esprit qui entraîne une surcharge cognitive dans mon corps bloqué devant un ordinateur répétant inlassablement les mêmes gestes
→ Devoir exister en ligne et soigner ma e-réputation
→ Me sentir sur-sollicitée tout en me sentant seule
→ Savoir que tout ce qui se passe en ligne reste en ligne

La joie naît d’un certain vide. Elle ne peut s’épanouir dans le trop-plein, qui entraîne le souci (…) La vie au rythme spontané, dépouillé des cadences artificielles, paraît la plus délicieuse à tous ceux qui savent que l’oisiveté, non contente d’être la condition de la philosophie est la mère de tous les oiseaux.

Avoir le temps : Essai de chronosophie, de Pascal Chabot, éditions PUF, 2021

La décharge virtuelle, pendant de la charge virtuelle ?

En me questionnant sur la notion de « charge virtuelle », qui bien souvent revêt une notion d’accumulation (qui [sur]charge donc), je me suis demandé où « partait cette accumulation », une fois accumulée. Si elle partait véritablement ? Et si le fait de ne pas savoir où elle partait et même si elle partait ne contribuait pas à renforcer la charge virtuelle (et la boucle est bouclée ?) ?

J’entends de plus en plus parler de « pollution numérique », « d’infobésité » (contraction d’information et d’obésité), ou encore de « détox numérique ». Le numérique nous charge, nous avons envie de nous en « libérer (délivrer ?) » et pourtant il nous semble difficile de faire sans et nous n’avons pas toujours les connaissances, la possibilité de nous former, ni la main pour faire autrement, ce d’autant plus dans un cadre professionnel.

Et puis, « on ne va pas revenir à l’époque des dinosaures ». Caricatural, pensez-vous ? C’est pourtant un des premiers (non-)arguments qu’on entend. Alors nous (nous) chargeons et nous (nous) déchargeons, virtuellement.

Pour moi la décharge virtuelle dans mon quotidien de travail c’est ?

→ (avoir consigne de) garder tous mes e-mails « au cas où », de mettre plein de personnes en copie « pour info » ou pour « (me) montrer » et utiliser des e-mails comme des textos alors qu’un simple coup de fil serait tout aussi efficace (voir plus)
→ affectuer des tâches / avoir des interactions numériques que je pourrais pourtant faire / avoir « en vrai »
→ devoir, pour être visible en ligne, avoir des e-profils (voire des sites web), y multiplier les contenus, intégrer images et vidéos là où ce n’est pas nécessaire (et finir par croire que sans cela je n’e-xiste pas ?)
→ sentir un contenu virtuel se déverser sur moi et sentir que j’en déverse sur les autres sans pour autant réussir à faire autrement
→ n’être que peu (voire pas ?) sensibilisée et formée au tri numérique et aux éco-gestes numériques

…ok, c’est bien intéressant tout ça mais maintenant on fait quoi ?

Ou comment faire, sans revenir à l’époque des dinosaures (pourtant c’est cool un dinosaure, non ?) ? Et bien, en faisant autrement (élémentaire, ma chère Camille me direz-vous).

En d’autres termes, nous pouvons essayer de changer l’existant, individuellement et collectivement. Comme aujourd’hui, nous savons qu’on coupe l’eau quand on se savonne, nous pouvons prendre l’habitude de couper la 4g et le wifi quand on ne s’en sert pas (et privilégier le wifi).

Comme nous savons qu’on peut (re)mettre un pull plutôt que de chauffer chez soi en plein hiver comme aux Caraïbes, on peut couper la caméra d’une visio ou encore privilégier les appels téléphoniques.

Et à l’échelle des entreprises et structures professionnelles, nous pouvons imaginer :

→ être formé·e au tri et aux éco-gestes numériques
→ avoir un nombre maximal d’appareils électroniques neufs achetés chaque année
→ avoir un poids maximal de production et stockage de données
→ couper l’accès aux serveurs en dehors des heures de travail
→ délimiter les temps de travail numérique*

*ceci est une liste loin d’être exhaustive, place à l’imagination !

Nous pouvons produire moins et maintenir plus. Filtrer et trier, encore. Questionner nos habitudes virtuelles à impacts bien réels, toujours.

Nous pouvons (ré)apprendre d’autres manières de travailler qu’en passant par le numérique, automatiquement.

Nous pouvons délimiter la charge virtuelle individuelle et collective. Nous pouvons prendre en compte le travail de tri et de nettoyage dans nos activités, et le partager.

Personnellement, c’est un sujet qui n’a jamais été abordé dans aucun de mes boulots pour le moment et quand j’essayais de mettre en place de petits gestes (comme le fait de couper ma caméra en visio ou de passer par oral plutôt que par e-mails) j’ai souvent été (plus ou moins gentiment) moquée. Mais je ne perds pas espoir !

Et vous, est-ce qu’il y a des mesures mises en place là où vous travaillez, est-ce un sujet qui est discuté, et quelle place occupe le numérique dans votre travail ? Comment vivez-vous votre rapport au numérique ? Ressentez-vous aussi une certaine « charge virtuelle » ? Et y a-t-il des alternatives non-virtuelles que vous aimeriez mettre en place / voir mises en place ?

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Si vous avez des ressources à conseiller sur ce sujet (livres, docus, blogs, articles…), n’hésitez pas à partager des références en commentaire ça m’intéresse (et pourrait en intéresser d’autres également !)

Sources citées et aller plus loin

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2 réflexions au sujet de “Et si la charge virtuelle était bien réelle ?”

  1. Hello,
    C’est vrai que la charge virtuelle prend de plus en plus de place, mais perso j’ai quelques astuces, je fais toujours une To Do List papier par exemple, histoire de ne pas tout faire sur l’ordinateur et c’est plus reposant sur les yeux aussi 🙂
    Des bisous !

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    • Salut Serena,

      Pareil, j’adore faire des listes papier, et tout ce que je peux faire sans ordinateur je le fais sans (en essayant de ne pas céder à la “rapidité machinesque” car souvent ça va plus vite avec un ordi mais je retiens mieux et prend plus de plaisir en faisant sans alors j’essaie de trouver un équilibre entre les deux. Au sujet des yeux, j’avais lu que c’était conseillé de détourner le regard de l’écran au moins 5min toutes les heures en regardant une source de lumière naturelle, j’essaie de le faire mais clairement j’oublie souvent surtout si je suis prise dans une tâche (de laquelle je ne peux pas forcément détourner les yeux par ailleurs selon les contextes)

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