Pourquoi ne pas travailler en mode dégradé ?

Il ne faut pas oublier qu’en ce moment nous travaillons en « mode dégradé ». Combien de fois ai-je pu entendre ce genre de phrase au cours de ces derniers mois ? Trente, cinquante, cent fois ? Qui dit mieux ? 

Cette phrase m’a fait tiquer au début, et puis sans même que je ne m’en rende compte, elle faisait partie du paysage et ne me choquait même plus. Pire, je l’avais intériorisée, normalisée, acceptée.  Je l’ai même probablement prononcée, machinalement. 

Et puis, je suis tombée sur une publication d’Une tarte au Travail intitulée « Tu vas devoir travailler en mode dégradé » qui m’a fait tilt. Qui m’a questionné. Et qui m’a rappelé que non, ça ne coulait pas de source de « (devoir ?) travailler en mode dégradé ». Alors j’ai eu envie d’écrire moi aussi à ce sujet. 

En mode « dégradé » … ? 

N’oublions pas que le mode dégradé est à la base appliqué au secteur industriel et aux machines (…) Je dois donc « accepter » de faire de la quantité, sans forcément de qualité. Enfin de la qualité quand même. En substance : « Avance et tais toi ! »Tout ça me donne plutôt envie de me mettre en mode « économie d’énergie ».

Une tarte au Travail, juin 2021

« Il ne faut pas oublier qu’en ce moment on avance en mode dégradé ». Cette phrase, c’est ma cheffe qui l’a prononcée en novembre 2020. Je venais de commencer ce nouveau boulot dans une « situation exceptionnelle », à savoir « à distance » et sous couvre-feu et je ne savais pas bien si je devais m’en estimer chanceuse ou malchanceuse. 

« Il ne faut pas oublier qu’en ce moment on avance en mode dégradé ». C’était la première fois que j’entendais cette expression, « en mode dégradé ». Autour de la table virtuelle de notre e-réunion d’équipe tout le monde hocha la tête d’un air contrit. Point besoin d’explication, tout le monde semblait savoir ce qu’elle entendait par là. 

Sur le moment, je n’ai rien dit, j’ai fait comme tout le monde et j’ai hoché, moi aussi, la tête d’un air contrit. En gros, ce qu’elle nous disait par là semblait simple : « ce n’est pas l’idéal (c’est la merde ?) mais on avance malgré tout (quoi qu’il en coûte ?) ». Et après tout, ce genre de discours avait-il réellement attendu la Covid-19 pour faire son apparition ? D’ailleurs, qu’est-ce que signifie le mot « dégradé » ? 

En mode dégradé…un peu d’étymologie ?

DEGRADÉ, ÉE, participe passé, adjectif et substantif masculin

Du latin chrétien « degradare » signifiant « destituer un prêtre, un évêque » 
→ Destituer d’une manière infamante
→ Diminuer la valeur morale de quelqu’un, de quelque chose [figuré]
→ Mettre en mauvais état, causer un dommage
→ S’aggraver, évoluer dans un sens défavorable [figuré]
→ Affaiblir, diminuer

Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)

Et bien que de réjouissances, me direz vous. C’est drôle, car moi la première image qui m’apparait, quand j’entends le terme de « dégradé », c’est une palette de couleurs aux mille et une nuances. 

En mode dégradé…on en voit de toutes les couleurs ?

Ceci dit, ce rapprochement est-il si déconnant ? En mode dégradé, ne finirions-nous pas par en voir de toutes les couleurs ? D’avaler toutes les couleuvres ? Et la boucle est bouclée ? Dégradée ?

Un dégradé, au sens coloresque du terme, caractérise une variation progressive de couleurs. Une variation serait donc une dégradation d’une « première » couleur, d’un « premier » matériau, d’un « premier » « quelque chose », pur et inchangé (pur car inchangé ?), qui une fois varié, une fois transformé serait (ne pourrait qu’être ?) dégradé ? Nuancé ? 

Nuancé ? Dégradé ? 

Comme le livre d’E.L James, le « mode dégradé » serait-il un simple effet de mode ? Un conte (décompte ?) des temps modernes ? 

Un effet de mode ? 

On ne travaille plus de la même façon, on va travailler en mode dégradé et ralenti dans beaucoup de secteurs »

Muriel Pénicaud, ministre du travail (2017-2020), mars 2020

Chose dite, chose faite ? Chose nommée, chose matérialisée ? « On va travailler en mode dégradé », notre (nouvelle ?) réalité ? 

On va travailler en mode dégradé et ralenti. Car une situation dégradée est une situation ralentie ? Ou bien car un mode dégradé n’est pas forcément au ralenti ? 

L’article ajoute « [qu’]il faut, selon elle, accepter qu’il y ait moins de profitabilité ou moins de rentabilité ». Une profitabilité et une rentabilité qui serait donc ralentie, à cause du « mode dégradé » activé. 

Mode dégradé activé ?

Le « mode dégradé » semble avoir été activé un peu partout en France (et dans le monde ?) à cause du contexte sanitaire. Du jour au lendemain, ce mot est apparu sur toutes les lèvres, inlassablement répété. 

Dans mon boulot (et ailleurs ?), cela semblait couler de source, nous travaillions maintenant « en mode degradé ». Comme je venais de le commencer, ce boulot, c’était difficile pour moi d’identifier ce fameux « mode », il était, depuis le début, ma « norme », mon « système de référence ». 

Alors oui, parfois, je me disais que c’était compliqué de travailler dans ces conditions, que c’était fatiguant, que c’était stressant, que c’était usant, que j’aimerais qu’il en soit autrement, mais qu’est-ce qui dépendait du « mode dégradé » dans tout cela et qu’est-ce qui relevait du boulot en tant que tel, des conditions « ordinaires » d’un travail (ordinaire ?) ?

J’avais envie d’éteindre le mode dégradé, avant qu’il ne nous éteigne tous et toutes. Que nous arrêtions de nous contenter de hocher la tête en coeur d’un air contrit, mode dégradé activé oblige. Que nous nous activions plutôt à le contourner, ce mode, à le désactiver. Et en même temps, qu’allait-il se passer, une fois désactivé ?

Mode dégradé désactivé ?

Un mode, par définition ça s’active et se désactive, non ? Une mode, ça passe, ça change ? Ça change, comme un dégradé, en variant. En proposant mille et une nuances. Et pas seulement les plus sombres. Travailler « en mode dégradé » n’est pas une fatalité. N’est pas une nouvelle norme. Une nouvelle manière de travailler, si ? D’ailleurs, est-ce même seulement « nouveau » de (devoir ?) travailler « en mode dégradé » ?

Cet article de Ouest France parlait déjà « d’un fonctionnement dégradé » en 2013. On repassera pour la nouveauté, n’est-ce pas ? Et d’ailleurs qui n’a jamais eu l’impression de voir des choses se « dégrader » autour de soi ? Aller de mal en pis, comme on dit. Ou tout simplement varier, parfois. 

De là, nous pouvons activer le mode dégradé, ne pas nous culpabiliser de ne pas réussir à faire aussi vite, aussi bien, comme nous l’aimerions, toujours, tout le temps, car les conditions ont changé. Changent. Nous pouvons avoir besoin et/ou envie d’activer le « mode économie d’énergie » comme nous le raconte Une Tarte au travail.

Et peut-être ne pas oublier qu’un mode, ça se bascule, une mode ça se bouscule, que tout peut se dégrader en une multitude de nuances et de formes et que si nous considérons que quelque chose se détériore, nous pouvons essayer d’activer un autre mode. Jusqu’au prochain ?

Et si nous passions en mode ?
→ amélioré
→ corrigé
→ détaché
→ entretenu
→ refait
→ respecté
→ restauré
→ réhabilité
→ réparé
→ épanoui

Liste non-exhaustive d’antonymes du verbe « dégrader »

Et vous qu’en pensez-vous ? Avez-vous déjà travaillé « en mode dégradé » ?

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Sources citées et aller plus loin

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