Il y a peu j’ai commencé un nouveau travail, salarié, après une année en tant « qu’auto-entrepreneuse » dont plusieurs mois de chômage. J’ai eu la malchance (ou la chance ?) de commencer ce nouveau travail début novembre lorsque le deuxième confinement français a été instauré.
Ce (re)commencement m’a (re)plongé dans le bain, comme on dit. Dans le bain du travail (le travail n’est pas une longue baignade tranquille, paraît-il ?). Dans le bain du (re)commencement. Du (re)nouveau.
Un (re)nouveau, que ce soit dans le cadre d’un travail, d’une relation, d’une nouvelle année, ou plus généralement d’une vie est souvent un moment vibrant d’émotions confuses. D’émotions qui fusent.
C’est que devenir un professionnel, passer « de l’autre côté du miroir », comme le dit Hughes, c’est aussi incorporer les émotions et les sensations qui sont liées à une profession. Et ce passage, la découverte d’une réalité autre que celle qu’on se représentait avant d’entrer dans la profession génère, en soi, des émotions : du « désenchantement », déstabilisant et conflictuel, voire angoissant, à l’excitation et l’inspiration dues à la nouveauté, en passant par la frustration de « ne pas y arriver ».
Aurélie Jeantet, Les émotions au travail, CNRS Éditions, Paris, 2018
C’est exactement ce mélange d’émotions, parfois contradictoires, que j’ai ressenti, et que je ressens encore par moments même si je crois que je commence à prendre mes marques dans mon nouveau travail. Pourtant, j’ai souvent commencé des « nouveaux boulots », cinq en cinq ans pour être exacte (sans compter, les boulots que j’ai fait lors de mon « voyage » en Amérique latine). On aurait donc pu croire que je commencerais à être rôdée, non ?
Mais finissons-nous jamais rôdé·es, me direz-vous ? Est-ce qu’à force de (re)commencer des nouveaux travails, nous nous habituons ? Est-ce que chaque (re)commencement se ressemble ? Pourquoi aimons-nous (ou n’aimons-nous pas ?) changer de travail, en (re)commencer un nouveau ? Qu’est-ce que cela entraîne ? Qu’est-ce que cela suscite ? Qu’est-ce que cela nous fait ressentir ? Nous fait traverser ? Travailler ?
Nouveau travail pour nouvelle vie ?
Tout quitter est plus facile que tout recommencer. Ailleurs, c’est toujours l’inconnu.
Reine Malouin, Cet ailleurs qui respire (1954)
Nouveau travail pour nouvelle vie (non ceci n’est pas le slogan d’une nouvelle émission de télé-réalité, quoi que y ressemblant) ? (Re)commencer un nouveau travail est toujours une plongée vers la nouveauté, vers l’inconnu ou le moins connu.
Une plongée en général attendue, comme une bouffée d’air frais, un nouveau challenge, une nouvelle stabilité, une opportunité d’apprendre de nouvelles choses et de se réinventer ou tout du moins d’avoir la possibilité d’espérer puisque rien n’est encore fait.
C’est une période en transition, d’un avant à un après. C’est une période en construction(s). En déconstruction(s) ? En reconstruction(s) ?
Une période de transition ?
La première fois que je suis passée d’un travail à un autre, j’ai fini le premier un jeudi à 18h pour rempiler sur le nouveau le lendemain, vendredi à 9h. J’avais hâte de commencer ce nouveau travail (ou hâte de quitter le précédent ?).
Je me souviens que mes collègues de l’époque avait été surpris·es que je ne prenne pas de petite pause entre les deux, pour « digérer la transition ». Et que, moi, j’avais été surprise de leurs propos car je n’en voyais pas « l’utilité ». Je ne me sentais pas fatiguée, il faut dire que je m’ennuyais un peu dans cet ancien boulot et je préférais que l’on me paye mes congés non-pris plutôt que de les prendre (le temps, c’est de l’argent, non ?). Et puis, j’avais déjà « de la chance » d’avoir « tirer deux cartes boulot » alors que j’étais « seulement » une jeune diplômée (comme les autres), sans passer par « la case prison » (euh, chômage).
Avec le recul, je me dis qu’une petite « transition » n’aurait probablement pas fait de mal car c’était bizarre et déstabilisant de changer totalement d’environnement d’un jour à l’autre tout en restant dans une « routine de travail », d’autant plus que je n’avais même pas eu le weekend pour « marquer la séparation ».
Quand nous commençons un nouveau travail (ou quelque chose de nouveau de manière générale ?) je crois que nous avons besoin d’une phase de transition. Que notre cerveau, notre corps, notre coeur a besoin d’une phase de transition, ce même pour les plus fonceurs et les plus fonceuses d’entre nous, non ?
Alors on a la « période d’essai », me diront certain·es. Certes, nous pouvons voir le début d’un nouveau boulot comme un essai, une expérimentation, un test. Mais on ne va pas se mentir, quoi que nous en disions (hello les fans de dev’ perso), nous sommes rarement dans une position d’égalité ou de symétrie avec notre employeur (même si nous essayons très très très fort de se dire que si, nous « valons » autant, que nous avons bien la position que nous prenons (osons prendre ?), que c’est une question d’état d’esprit…). Car, à quelques exceptions près en fonction des secteurs, il y a plus de mains d’oeuvre que d’ouvrage (rémunéré) actuellement. Alors nous avons plutôt intérêt à ne pas le louper, notre essai. À ne pas la louper, notre transition.
Alors nous transitons, et nous transitons vite, si possible. Nous sommes impatient·es de nos jours, il paraît. Il n’y a pas une minute à perdre et nous voulons être (que nous soyons ?) « opérationnel·le, « asap ».
Il faut dire que ce n’est pas facile d’être la dernière roue du carrosse, la dernière personne arrivée. Nous pouvons avoir un sentiment de retard par rapport à nos autres collègues, nous pouvons avoir tendance à nous comparer. Nos anciens boulots peuvent déteindre sur le nouveau, nous pouvons avoir du mal à nous en détacher, les comparer avec le nouveau.
Bref, tout semble à construire, et c’est bien cela qui est effrayant et passionnant, non ?
Une période en construction ?
(Re)commencer un nouveau travail nous donnerait l’impression d’être devant une page blanche. D’avoir (de pouvoir ?) tout construire ? Déconstruire ? Reconstruire ?
Avant, nous étions peut-être en études. Ou au chômage. Ou dans un boulot qui ne nous plaisait pas (plus ?). Ou en arrêt maladie. Ou en sabbatique. Ou en congé parental. Mais ça, c’était avant, non ?
Là, nous sommes après. Nous sommes ailleurs. Nous sommes autre part. Autre ?
Outre l’excitation de la nouveauté, qui pour ma part m’angoisse autant qu’elle me stimule (nos paradoxes sont ce qui fait notre charme, non ?), ce que j’aimais dans le fait de changer de travail, de (re)commencer un nouveau travail était bel et bien la possibilité de (re)commencer, moi. De me (re)commencer.
Le (re)commencement (la (re)naissance ?) balaie tout le reste ? Me donne l’illusion de balayer tout le reste, mes restes. Bien plus qu’une deuxième chance (ou énième chance vu mon taux de (re)commencement), c’est l’occasion rêvée de « repartir de zéro ».
Personne ne nous connait, nous pouvons être qui nous voulons être. Nous pouvons veiller à ne pas recommencer nos erreurs. Nous pouvons ne pas être figé·es dans la case dans laquelle on nous avait précédemment collé. Nous pouvons ne plus être celui ou celle qui ne sait jamais dire non, celui ou celle qui a été en arrêt maladie, celui ou celle qui a pleuré, s’est emporté·e, a foiré un projet. Tout est à construire. Nous pouvons ne plus être celui ou celle qui est le pro des tableaux excel, qui raconte les meilleurs blagues de la machine à café, qui négocie son salaire comme personne, qui a été là dans les moments difficiles, qui a partagé le même bureau. Tout est à construire.
De l’adaptation à l’intégration ?
Le « bleu », ainsi qu’on nomme et qu’on moque dans certains milieux le novice, se caractérise aux yeux de tous par sa naïveté. Il lui manque non seulement des connaissances du contexte professionnel, et parfois des habiletés techniques mais lui font aussi défaut une familiarité, un rodage, un savoir concernant les émotions les plus fréquentes dans un milieu donné. Le débutant se trahit par des émotions réactionnelles plus vives, ou déplacées, et parfois mais plus rarement, au contraire, par une absence d’émotions là où elle est attendue et considérée comme normale.
Aurélie Jeantet, Les émotions au travail, CNRS Éditions, Paris, 2018
S’adapter à sa nouvelle place ?
Qui n’a jamais eu l’impression de « se trahir » dans un nouveau boulot, ou dans un contexte nouveau de manière générale ? Qui n’a jamais eu l’impression de ne pas être à sa place, de ne pas connaître les codes, de ne pas savoir quoi dire et comment le dire, de ne pas savoir comment se comporter ? Et qui n’a jamais eu l’impression que lorsque cette « trahison de soi », cette attitude « déplacée » jaillissait (sans que nous ne puissions la retenir ?), les yeux des autres, du monde étaient alors incontournablement braqués sur elle ? Sur nous ?
Lorsque j’ai commencé mon nouveau travail, salarié, il y a quelques mois, après plusieurs années plutôt instables (galères ?) remplies d’arrêt maladie, de chômage, d’envois de CV, de démonstrations (plus ou moins originales, histoire d’essayer de me « démarquer » ?) de ma motivation, de travail gratuit, d’auto-entreprenariat, le tout saupoudré de confinement made in 2020, je me suis sentie SOU-LA-GÉE (ce n’est pas peu de le dire, EN MAJUSCULES). Je me suis sentie soulagée de retrouver un salaire fixe, d’avoir une réponse au rituel « tu fais quoi dans la vie ? », d’avoir de « vrais congés » (payés et donc mérités ?), de ne plus être la personne sans (« vrai ») boulot et donc, a priori, « toujours dispo ».
Mais (car oui il y a toujours un « mais », paraît-il ?), je me suis aussi sentie stressée. Ce qui est « normal » me répondront certain·es. Le « stress » n’est-il pas d’ailleurs une des réactions « attendues » (puisque normale ? normalisée ?) dans cette situation ?
J’étais donc stressée, stressée à l’idée de ne peut-être pas aimer ce nouveau boulot (ou de trop l’aimer ?), de ne peut-être pas, moi, être aimée, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être compétente, de faire des gaffes, des erreurs, de ne pas m’adapter, de ne pas m’acculturer, de ne pas m’intégrer. Et donc d’être rejetée ? Éjectée ? Virée ? Dé-placée ? Sans place ?
Lors d’un de mes premiers boulots, un de mes collègues m’avait dit qu’il préférait embaucher des « jeunes » et que, selon lui, lorsqu’on passait la « barre des dix ans d’expérience » on risquait d’être trop formaté·e par nos expériences précédentes et donc trop dur·e à (ré)adapter (et donc intégrer ?). Je me souviens avoir pensé « quand t’es jeune t’as pas assez d’expérience, quand t’es vieux t’en as trop, c’est un peu le même combat que pour avoir des enfants, tu disposes d’une « fenêtre de tir » (socialement ?) très normée (limitée ?) pendant laquelle tu n’es enfin plus jugé·e trop jeune et pas encore jugé·e trop vieille (plus souvent que vieux ?), t’as interêt à ne pas louper le coche (ce coche ?) ma vieille (ma jeune ?), allez santé ».
Alors j’en profite, tant que je peux (encore ?) m’adapter ? M’intégrer ?
S’intégrer ou s’intégrer ?
S’intégrer ou ne « pas » s’intégrer, tu veux dire, se demanderont certain·es ? Non, non, pas d’erreur de frappe dans ce titre, vous avez bien lu,« s’intégrer ou s’intégrer » est bien la question. La question qui ne se pose pas ici en l’occurence.
Nous nous intégrons. Nous devons nous intégrer. Ce n’est pas une question. Ce n’est pas une option. Nous devons nous intégrer. Nous nous intégrons. Dans un nouveau boulot. Dans une nouvelle équipe. Avec de nouvelles personnes.
D’ailleurs que recherchons-nous dans un·e candidat·e (et dans les personnes que nous sommes amené·es à côtoyer de manière générale ?) si ce n’est sa « capacité à s’adapter, à s’intégrer » ? Combien de fois entendons-nous dire (disons-nous ?) que le plus important n’est pas tant ce que la personne sait faire (car tout s’apprend ?) que ce que la personne « est » (paraît être ?), peut « être » au sein d’une équipe, d’un ensemble à intégrer ? Le « team building », « l’esprit d’équipe », les « journées (soirées ? weekend ?) d’intégration » ne sont-ils pas (n’ont-ils pas toujours été mais sous d’autres appellations ?) des préoccupations prioritaires ?
Mais en « intégrant » (ou pas ?) un travail, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que cela entraine ? Qu’est-ce que cela chamboule ? Est-ce seulement nous qui intégrons notre travail, ou le travail nous intègre-t-il également ? Pourquoi ce besoin d’intégration ? De nous « faire entrer dans un ensemble en tant que partie intégrante » ? D’autres modèles sont-ils possibles ? Souhaitables ? N’est-ce pas (ré)confortant de faire partie d’un ensemble ? Humain de vouloir faire partie d’un ensemble ? Vital de faire partie d’un ensemble ? Mais intégrer un travail signifie-t-il que lorsque le contrat s’arrête, nous nous dés-intégrons ? Nous nous « désagrégeons », nous « disparaissons complètement » ? Jusqu’au prochain ensemble ? Jusqu’au prochain travail ?
Et vous, qu’en pensez-vous ? À quand remonte la dernière fois que vous avez (re)commencé un travail ? Avez-vous subi et/ou choisi des changements de travail ? Aimez-vous changer de travail souvent, parfois ou pas du tout ? Quel est votre rapport à ce(s) (re)commencement(s) ?
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Sources citées et aller plus loin
- Mes articles
- Pourquoi ne pas voyager en « travaillant » ?
- Pourquoi devrions-nous avoir honte d’être au chômage ?
- Pourquoi ajouter toujours plus de lignes à son CV ?
- La motivation devrait-elle être le sésame vers l’emploi ?
- Comment s’est passée ma première expérience freelance ?
- Tu fais quoi dans la vie ?
- Vive les vacances ?
- Les émotions au travail, de Aurélie Jeantet, CNRS Éditions, Paris, 2018
Coucou, j’ai trouvé ton article super intéressant d’autant que je me suis sentie très concernée même si ma situation n’est pas tout à fait la même. En tant que professeur des Ecoles, changer de circonscription, ou d’école ça revient plus ou moins à changer de travail. Et j’ai eu énormément de problématiques similaires aux tiennes.
Le chéri vient justement de changer de travail, il a aussi, comme toi la première fois, enchainé les deux boulots sans pause. Même s’il est content de ses premiers jours à son nouveau poste, je le sens particulièrement stressé. Je pense que c’est difficile de faire autrement et je comprends aussi que pour toi la situation soit stressante ^^ Je suis contente pour ton nouveau travail, j’espère que tu vas pouvoir t’y épanouir au mieux 🙂 Je trouve ça horrible que tu aies pu ressentir du soulagement face à toute la pression sociale que c’était de ne pas avoir « officiellement » de travail.
Salut Olivia,
Ah oui je n’avais pas pensé à la configuration où l’on « change de travail » sans en changer, comme c’est le cas pour les fonctionnaires, en particulier les enseignant·es (peut-être encore plus lorsque l’on débute ?), c’est intéressant ce que tu dis ! J’ai une copine qui est enseignante remplaçante cette année et pour le moment elle apprécie le fait de pouvoir changer souvent de classe (elle voit des niveaux et des classes différentes, elle trouve qu’il y a moins d’affect, si ça se passe mal au pire elle sait qu’elle n’y restera pas…) et en même temps c’est stressant de ne pas savoir à l’avance où on va se retrouver (plus la route à faire qui varie), de changer tout le temps, de devoir s’adapter, savoir la veille ou tu pars le lendemain (moi personnellement ça ne me conviendrait pas du tout tellement j’aime tout prévoir à l’avance ahah).
Ah je comprends bien ton copain, c’est tellement dur je trouve d’enchainer comme ça deux boulots même si dans les faits ça arrive souvent et on n’a aussi parfois pas vraiment le choix… Et recommencer un nouveau boulot, qui plus est dans le contexte actuel, ce n’est pas évident, bon courage à lui ! Moi je commence à prendre mes marques doucement ça fait du bien et là je n’aimerais pas du tout devoir recommencer un nouveau travail (et repartir de « zéro » en quelque sorte) ahah mais qui sait dans quelques mois (ou quelques années) j’aurais peut-être envie de changer (ou devrais peut-être changer), qui sait 🙂
Et oui la pression sociale du travail c’est compliqué je trouve et même si parfois (et peut-être même souvent ?) les personnes ne pensent pas à mal il y a des petites phrases automatiques (parfois sous couvert de l’humour) qui blessent (le classique : « ah mais pour toi c’est toujours les vacances », ou « la chance pas de réveil pour toi ») ou bien les inquiétudes des autres (« t’as des pistes ? », « t’as passé des entretiens ? », « c’est galère en ce moment »…), et aussi toute la pression qu’on se met soi-même car les deux sont liées (pression envers soi-même, pression des autres). Donc bon, bien contente d’enfin « re-rentrer » dans la « case » travail (surtout que ça va re-nourrir aussi mes réflexions pour le blog et puis aussi permettre une stabilité financière et donc mentale :))