Il y a peu mon copain et moi avons décidé de déménager. « Parce que l’un·e de vous a trouvé un travail, ailleurs ? », se demanderont peut-être certain·es ? Cette question était d’ailleurs généralement la première posée lorsque nous annoncions notre déménagement. Et pourtant non, nous ne déménagions pas pour un travail, ce qui semblait perturber de nombreuses personnes autour de nous. Et, en y réfléchissant, c’était une grande première pour nous aussi.
Nous avions tout deux changé de ville au grès de nos études et de nos « (non)opportunités professionnelles » et voilà que nous nous étions trouvé·es à Paris, attiré·es (poussé·es ?) par l’appât (la nécessité ?) du travail. Personnellement, j’y étais venue pour effectuer mon stage de fin d’études. Stage qui s’est ensuite transformé en CDD. Puis en autre CDD, dans une autre structure, mais toujours dans la même ville. Et ainsi de suite.
Avant même que je ne m’en rende compte, Paris était devenue ma ville. La ville où je travaillais (pouvais travailler ?). Et donc, la ville que j’habitais ? Que j’avais la chance (le privilège ?) d’habiter, contrairement à de nombreuses personnes qui ne peuvent pas se loger dans la ville dans laquelle elles travaillent pourtant.
Au cours de ces quelques années à Paris, j’ai changé plusieurs fois d’appartements, en me disant à chaque fois que c’était bien la dernière fois que je changeais car, outre le déménagement qui n’est, en soi, pas une partie de plaisir (surtout quand on habite à un étage élevé sans ascenseur, n’est-ce pas), les recherches d’appartement étaient un véritable parcours de la combattante. D’autant plus dans certaines villes, ou parties de ville. Avec certains contrats de travail et certains types de travail (incertains ?).
Alors j’ai eu envie de me pencher sur ces questions de travail et de logement qui s’influent, qui nous influent. Habitons-nous là où nous travaillons ou travaillons-nous là où nous habitons ? Quel(s) travail(s) donnent (refusent ?) accès à quel(s) logement(s) ? Comment pouvons-nous (devons-nous ?) « travailler » cet accès à un logement ? Qu’est-ce qu’implique le fait de pouvoir (devoir ?) travailler depuis chez soi ? Ce d’autant plus dans un contexte actuel de télétravail généralisé (normalisé ?) ?
On travaille donc on habite ?
Avec la hausse des prix vertigineuse qui s’est produite au cours des quinze dernières années, la quête d’un logement est devenue une entreprise qui expose la majeure partie de la population à la violence des inégalités et des rapports de domination. La difficulté de se loger, ou de se loger correctement, que chacun tente de déjouer comme il peut, entrave, contraint et exténue des millions d’existences. On reste rêveur en imaginant à quoi ressembleraient nos vies si l’espace était une denrée abondante et accessible, y compris dans les grandes villes.
Mona Chollet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique (Zones, 2012)
Je travaille donc j’habite ? C’est mon travail (ou mon excellent patrimoine ?) qui me permet de payer un loyer, ou un prêt immobilier. C’est mon contrat de travail et ma fiche d’imposition qui « placent mon dossier de candidature » au dessus (ou en dessous ?) d’un autre. C’est aussi peut-être mon temps, mon énergie, mes contacts, mes savoir-faire, mes savoir-être, mon apparence physique qui me permettent de « trouver » un logement, après une période de recherche plus au moins longue. Tant de similitudes (linguistiques et pas que ?) avec le travail, n’est-ce pas ?
Ne disons-nous pas d’ailleurs aussi de certaines personnes qu’elles « sont habitées par leur travail » ?
On habite là où notre travail le permet ?
Pendant longtemps, je me suis dit que j’irais, non pas là où le vent m’emporterait, mais où le travail me porterait. Je dirais même que je ressentais une certaine fierté à me dire que j’étais prête (que je pouvais ?) aller travailler, et donc vivre, n’importe où. J’étais « mobile » et « flexible ». Et « la mobilité » et la « flexibilité » sont les « compétences-clés » du XXI° siècle, n’est-ce pas ?
Du plus loin que je me souvienne, je crois que j’ai toujours voulu partir, découvrir de nouveaux endroits et de nouveaux horizons. Je ne ressens pas d’attache particulière à une région, à un endroit si ce n’est en fonction des personnes qui y habitent. Et je ne me suis jamais dit que je rêvais d’habiter à x ou y endroit. Ceci dit, je ne me suis jamais dit non plus que je rêvais de faire x ou y boulot (c’est grave, docteur·e ?).
Cependant, j’avais tout de même tendance à me dire que je pourrais trouver des raisons d’apprécier un endroit, n’importe quel endroit (ou presque ?) et que je ferais mes « choix de vie » plutôt en fonction du travail que de la géographie (car c’est plus difficile de trouver un travail qui nous plait qu’un endroit qui nous plait ?).
Nous pouvons migrer, c’est-à-dire « nous déplacer vers un autre lieu », pour plusieurs raisons. Les « grandes raisons » (car une « petite » raison ne suffirait pas ?) d’effectuer une migration sont généralement liées à des facteurs environnementaux, socio-politiques, démographiques ou économiques (ou un peu tout cela à la fois ?).
Lorsque nous pensons aux personnes qui migrent, aux « migrant·es » (ou « expats » selon le sens de migration), nous pensons d’abord aux personnes se déplaçant d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. Mais les personnes se déplaçant d’une région à une autre, d’un département à un autre, d’une ville à une autre au sein d’un même pays se déplacent également d’un lieu vers un autre et « migrent » donc, littéralement. Ce bien souvent pour des raisons économiques, pour (à cause de ?) un travail. Dans l’espoir d’un travail meilleur (et d’une vie meilleure ?). Dans l’espoir d’un travail tout court (et d’une vie, pas trop courte ?).
Nous n’habitons pas seulement un endroit, mais aussi un espace, un logement. Et en fonction de notre travail, nous n’avons pas accès aux mêmes logements, aux mêmes espaces. La première raison à cela, évidente (normalisée ?) est notre salaire. Ou plutôt nos différences de salaire et donc de pouvoir d’achat (de pouvoir, tout court ?).
Mais la seule rémunération ne fait pas toute la différence, d’autres paramètres « entrent en jeu », comme le type de contrat. Alors que le CDI semble se raréfier à l’heure de la start-up nation et de la coolitude glorifiée des « auto-entrepreneur·euses », il reste pourtant « le sésame » (la clef, sans mauvais jeu de mot), pour un logement. De là, difficile de se loger lorsqu’on est à son compte, ce même lorsqu’on a pourtant des revenus importants, et si on cumule « statut instable » avec bas revenus, là c’est le combo perdant, vous vous en doutez.
À ce qui est écrit noir sur blanc, s’ajoute ce qui est perçu en noir ou en blanc (choquant ?), aka la sélection à la gueule du client ou de la cliente. Ainsi, de nombreuses personnes n’ont pas accès à certains logements à cause de leurs couleurs de peau, leurs origines réelles ou supposées mais aussi leurs sexes (il paraît qu’une femme « c’est plus propre qu’un homme » et que « ça fait moins la fête », non ?), leurs styles vestimentaires, leurs manières de parler ou de se tenir, et même leurs « types de profession ». Je me souviens notamment d’une visite groupée (les joies de Paris et des grandes villes aux « marchés tendus ») pendant laquelle une des personnes présentes nous avait dit qu’en tant qu’avocate elle galérait à louer un appartement alors qu’elle avait pourtant un emploi stable et de bons revenus (peut-être car une avocate risquerait de trop bien connaître ses droits ?).
Bien souvent (toujours ?) nous habiterions donc non seulement là ou nous trouvons du travail mais également (inégalement ?) là où notre travail (et notre personne ?) serait jugé suffisant ? La recherche de logement (tout comme la recherche de travail ?) ne s’avérerait donc pas la même pour tout le monde ? Et représenterait (de plus en plus ?), tout un « travail » ?
Trouver un logement, tout un travail ?
Lorsque nous sommes parti·es de Paris avec mon copain, nous pensions que notre recherche de logement, ailleurs, allait forcément être plus simple. Ah, doux rêveur et douce rêveuse que nous sommes.
Après tout, nous pensions avoir déjà tout vu, à Paris. Des « files d’attente » qui s’étendent tout le long d’une cage d’escalier et qui débordent même sur le trottoir, aux « agent·es immobilier·es » qui ne nous rappellent jamais ou qui ne nous parlent « pas très poliment » car de toute façon des comme nous « il y en a des dizaines à la pelle » alors pourquoi s’embêter, en passant par des visites groupées express où il est difficile de voir quelque chose d’autre que le dos de la personne devant soi et je ne parle même pas de la possibilité d’avoir des renseignements sur le dit appartement auprès de la personne réalisant la visite, ou plutôt attendant qu’une pile de dossiers anonymes lui soit déposée, silencieusement svp, pour qu’elle n’ait plus qu’à en tirer, on ne sait comment, le « numéro gagnant ».
Alors en quittant Paris, nous étions optimistes. Et c’est peut-être pour cela que la chute n’en fut que plus brutale ? Nous nous disions que cela ne pouvait pas être pire, que là où nous allions le marché était moins tendu et les loyers plus accessibles financièrement. Plus accessibles, tout court.
Tout a commencé lorsque nous avons réalisé que nous ne pouvions pas simplement contacter une agence, lui présenter notre dossier et lui demander de nous faire visiter les biens correspondants. Ce qui est, ni plus ni moins, le travail d’une agence, non ? Ah non, ça se passe peut-être encore comme cela dans les endroits avec peu de demandes ou tout du moins plus d’offres que de demandes mais ça fait bien longtemps que c’est fini dans les zones où y a des dizaines (des centaines ?) de personnes pour un bien. De personnes prêtes (obligées ?) à « se battre pour un bien ».
Ok, alors comment ça se passe, ici et maintenant ? Et bien c’est très simple, il faut être « au taquet », un peu comme quand on cherche un boulot en fait. Pour être sûr·e de ne laisser passer aucune offre. On nous a même gentiment conseillé de nous mettre des alertes à minuit pour demander des visites car les annonces de cette régie sortaient à minuit et les quelques premières personnes à cliquer obtenaient apparemment une visite (« ah oui, si vous cliquez à 9h Madame, il est déjà trop tard rendez-vous compte enfin… »), ce que, passés l’étonnement et la colère du début, nous avons fini, résigné·es, par faire. Sans succès.
On nous a aussi demandé de déposer tout notre « dossier de candidature » en amont comme une sorte de pré-requis à une éventuelle visite, car nous candidatons pour un logement, n’est-ce pas ? Et c’est si, et seulement si, notre dossier de candidature est sélectionné que nous sommes appelé·es pour l’entretien, euh la visite. Tout en gardant bien en tête que seul un dossier (et pas une ou des personnes ?) sera retenu.
Alors au début, lorsqu’une agence nous a demandé cela, on a refusé. Comment ça il faut vous fournir tous nos documents personnels (copie de carte d’identité, de contrat de travail, de salaire, de fiche d’imposition, de RIB…), le tout sur une plateforme en ligne sur un site qui n’a même pas l’air sécurisé, c’est quoi ce délire ? Jusqu’au moment où nous avons réalisé que toutes les agences le demandant, nous ne pouvions finalement pas nous payer le luxe de refuser. Alors nous avons fini par « jouer le jeu ».
Et là, cerise sur le gâteau comme on dit, nous avons constaté qu’aucune agence ne demandait les documents sous le même format ni de la même manière (et même pas toutes les mêmes documents par ailleurs). Alors qu’envoyer notre beau dossier qui nous avait déjà demandé du temps à construire aurait été si simple, voilà que nous nous sommes retrouvé·es à passer (perdre ?) des heures sur chaque site d’agence pour déposer notre cher et tendre dossier en pièces détachées, dont certaines étaient trop volumineuses, pas au bon format, pas assez ceci pas assez cela. Rien que d’y repenser, cela me révolte.
Alors bon, vous avez bien fini par trouver un logement me diront certain·es, qui plus est un logement dans lequel vous vous sentez bien pour ceux et celles qui nous connaissent personnellement (et en ce moment nous avons plutôt intérêt à nous sentir bien chez nous vu que nous ne devons presque plus en sortir, n’est-ce pas ?), c’est le plus important, non ?
Euh, et bien non. Non. Et encore non. C’est possible de positiver une fois qu’une situation galère vient de se passer mais c’est plus intéressant à mon sens d’essayer de voir comment on peut faire en sorte que ça ne se reproduise plus, pour nous et pour les autres, non ? Sinon nous passons notre vie à positiver individuellement des situations qui auraient pu (aurait dû ?) être améliorées (évitées ?) collectivement ? Le logement c’est une galère, et ça ne fait qu’empirer (pendant que certain·es s’en construisent un, « d’empire (immobilier) »). Tout le monde s’accorde à le dire (à le commenter ?) mais, en attendant, qu’est-ce qu’on y fait ?
Pourquoi trouver un logement est aussi compliqué (voire devenu mission impossible?) ? Pourquoi ne serait-ce même que chercher un logement est aussi compliqué ? Maintenant, nous nous retrouvons à faire le travail d’une agence immobilière tout en la payant tout de même à la fin pour ce qu’elle n’a pas fait. Tout se passe en ligne, le moins de contacts humains possibles pour le moins d’affects possibles sinon ce ne serait pas tenable ? Ce n’est pas la situation sanitaire qui risque d’améliorer la situation et des choses mises en place en ces « circonstances extraordinaires » pourraient bien finir par s’installer « ordinairement » (à défaut que nous, nous trouvions où nous installer ?) et ne pas disparaître une fois la « crise » passée, si nous n’y prenons pas garde.
De nouveaux boulots ont néanmoins été crées, souligneront peut-être les plus optimistes d’entre vous (et c’est « toujours bien » la création d’emploi, n’est-ce pas ?), comme les chasseurs et les chasseuses d’appartement (rien que le nom ça en dit long, non ?). Chasseurs et chasseuses d’appartement qui font ce que les agences immobilières ne font plus pour un petit (gros ?) supplément d’argent, que seul·es les plus riches d’entre nous peuvent s’offrir, et oui « business is business ».
Pourtant, le droit à un logement convenable (un logement convenable et même pas seulement un logement tout court !) a été écrit noir sur blanc dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (et de la femme) de 1948 ainsi que dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Encore un droit sur le papier me diront les plus cyniques d’entre nous (que je ne suis pas loin de rejoindre en ce moment) ?
Ce à quoi les petit·es malin·es parmi nous répliqueront de ne pas nous inquiéter, qu’il existe toujours des moyens de gruger (coucou Photoshop). Mais en faisant cela ne risquons-nous pas d’augmenter encore plus un niveau d’exigence déjà difficilement atteignable ? Quand j’entends des cadres en CDI avec de bons revenus et de bonnes garanties qui en sont rendu·es à photoshopper leur fiche d’imposition je me dis que c’est grave quand même. Si même eux et elles galèrent à trouver un logement, qu’en est-il de toutes les autres personnes encore moins bien loties ?
Et une fois que nous avons trouvé un logement, comment cela se passe ? L’histoire est-elle finie ? Tout est bien qui finit bien (dans le meilleur des mondes) ?
Nous habitons et nous travaillons ?
Pour vivre et nous croire libres, il nous faut plusieurs espaces.
Jean-Bertrand Pontalis, L’amour des commencements (Gallimard, 1986)
Une fois que le nouveau logement est trouvé, il faut déménager l’ancien et emménager le nouveau. Pour cela, aucune disposition légale à ce jour n’existe mais si vous avez de la chance la convention collective de votre entreprise vous autorise à prendre un ou deux jours, encore faut-il, encore une fois, connaître ce droit pour l’exercer.
Dans un de mes premiers boulot j’ai appris l’existence de cette disposition lorsqu’un de mes collèges a déménagé et a donc posé deux jours (ce qui a fait grincer certaines dents au passage) alors même que j’avais moi-même déménagé quelques mois auparavant et qu’on s’était bien gardé·e de m’en avertir. On se retrouve alors bien souvent à poser des congés pour déménager ou à payer des entreprises pour le faire pour nous quand notre portefeuille le permet. Et même en déléguant un déménagement cela n’en reste pas moins une période stressante et fatigante, d’autant plus si on a des enfants. Par ailleurs, la période de la recherche de logement est également une période stressante et fatigante pendant laquelle il faut s’arranger pour chercher, le matin avant le boulot, pendant la pause-déjeuner ou à n’importe quelle pause, quand on est aux toilettes (oui, tout moment « libre » est bon à saisir), le soir, et s’organiser pour pouvoir aller faire des visites qui sont proposées, en général, sur nos horaires de boulot. Alors deux jours dans le meilleur des cas pour gérer un déménagement, on peut mieux faire je crois, non ?
Une fois passée cette période de transition entre ancien logement et nouveau logement, nous voilà à nouveau chez nous, ailleurs. Nous habitons notre espace, mais nous y travaillons aussi parfois, et ce de plus en plus souvent depuis quelques mois.
Nous travaillons où on habitons ?
L’espace domestique qui a été, pendant des siècles, le lieu d’un travail non reconnu (car non-rémunéré ?) et majoritairement effectué par des femmes est devenu aujourd’hui l’espace de travail d’une importante partie d’entre nous suite à la crise sanitaire et aux consignes de télétravail généralisé qui en ont découlées.
Situation de crise oblige, nous avons dû nous adapter dans l’urgence et la précipitation et nos habitations sont devenues nos bureaux. De là, nous avons pu voir des personnes pour qui le télétravail était un soulagement et même un plaisir, des personnes « envoyées en première ligne » qui auraient, au contraire, préféré pouvoir travailler depuis chez elles, des personnes pour qui le télétravail (ou télé-études ?) rimait avec prison, dorée parfois, prison toujours. « Magie des réseaux sociaux » oblige, nous avons vu certain·es vivre « leur meilleure vie (en télétravail) » tandis que d’autres vivaient au contraire « leur pire ».
Nous ne vivions déjà pas les mêmes vies au travail, nous ne travaillions déjà pas dans le même confort ni même la même sécurité mais avec la crise sanitaire les différences (les inégalités ?) semblent être exacerbées.
Certain·es disposent d’une pièce « bureau » où ils et elles peuvent travailler en tout confort et en toute tranquillité et intimité, tandis que d’autres découvrent les « joies de l’open space » en couple (ou pire avec enfants ?), travaillant dans la même pièce, enchaînant les appels et les « visios » dans un joyeux (oppressant ?) capharnaüm. Et sans échappatoire le soir venu de pouvoir retrouver son chez soi calme et loin de ses collègues trop bruyant·es (de ses bureaux pas assez isolés ?) puisque les collègues trop bruyant·es qui nous ont cassé la tête toute la journée étaient en fait notre conjoint·e et/ou nos enfants, faute d’espace adapté.
Faute d’espace adapté, d’espace délimité, la frontière déjà ténue entre temps de travail et temps de loisir semble disparaître. Nous travaillons dans notre salon, dans notre cuisine, dans notre chambre, dans notre salle de bain. Nous avons plus de mal à nous arrêter et à couper, et même quand nous avons l’impression de couper, le spectre de notre travail semble continuer de flotter un peu partout dans notre logement, faute de séparation nette.
Mais le fait de pouvoir travailler là où nous habitons a tout de même certains avantages, non ? Plus de temps de perdu dans les transports ? Oui, mais plus non plus de temps lecture dans le tram, ou de temps sportif en vélo ou encore de temps chantonnant en voiture ? La possibilité de lancer une petite machine entre deux visios ? Oui, mais la charge de s’occuper d’une petite machine entre deux visios et de se retrouver à faire plusieurs choses à la fois, puisque nous pouvons le faire ? La possibilité de se créer un petit espace de travail cocooning où nous ne sommes pas dérangé·es toutes les deux minutes par nos collègues ? Oui, mais un espace de travail que nous devons déballer, remballer, nettoyer chaque matin et chaque soir et même peut-être pendant le déjeuner selon l’espace dont nous disposons (ou plutôt dont nous ne disposons pas ?) ? La possibilité d’habiter où nous le voulons ? Oui, mais le risque en habitant partout n’est-il pas de finir par ne plus habiter nulle part ?
À pouvoir travailler partout, nous n’habitons plus nulle part ?
Mobilité, flexibilité, adaptabilité, nouveauté. Dans le monde d’aujourd’hui il semblerait que nous devons être toujours en mouvement. En changement. Une personne qui ne bougerait pas, ou tout du moins pas assez au goût de notre société mobile serait préjugée prévisible, routinière, ennuyeuse, triste. Naitre et mourir au même endroit, rien de plus terrible, non ? Non, on veut voir du pays, voir des pays.
Et pour cela quoi de mieux que de pouvoir travailler depuis partout ? Depuis n’importe où ? Être « digital nomade ». Ouvert·e sur le monde, connecté·e, en mouvement. Passer de ville en ville, sans attache. Être partout et être nulle part. Faire partie de tout et ne faire partie de rien.
J’entends souvent parler des « problèmes » de turn over en entreprise. Je me souviens que dans un de mes précédents boulots, un de mes collègues m’avait cyniquement dit qu’il ne faisait plus l’effort de retenir le prénom des personnes qui arrivaient car de toute manière personne ne restait bien longtemps. Sur le moment ses paroles m’avaient fait froid dans le dos. Pourtant, comment pourrions-nous en vouloir à quelqu’un·e de ne pas ressentir d’affection pour une personne de passage. L’affection ça se construit, ça prend du temps, non ? Et, comment, de la même manière, pourrions-nous en vouloir à quelqu’un·e de chercher à ne pas (plus ?) s’attacher à des personnes que bientôt il ou elle ne recroiserait plus ?
J’entends sans cesse qu’il faut « recréer du lien ». Que s’il y a bien une chose que cette crise sanitaire nous aura apprise c’est l’importance du lien. Et pourtant, on glorifie bien souvent l’absence de lien, que ce soit à un travail, à une ville, à une personne. Nous devons pouvoir vivre « seul·e », « nous suffire à nous même », « n’avoir besoin de personne », pouvoir partir à l’autre bout du monde ou de la France pour un boulot (mais pas que ?), qu’importe ce(ux·elles) qu’on pourrait laisser derrière nous, puisque de toute manière on est mobile et donc on reviendra. Nous pourrons revenir. Ou plutôt repasser. Passer et repasser sans jamais vraiment s’arrêter ou tout du moins pas trop longtemps.
Nous n’apprenons pas (plus ?) à connaître nos collègues puisque de toute manière nous n’allons pas, pouvoir ou vouloir, rester dans le même boulot, bien longtemps. Nous n’apprenons pas à connaître nos voisin·es puisqu’ils et elles changent tout le temps et que nous aussi. Nous n’apprenons pas à connaître une ville, puisque nous n’y resterons pas. Nous ne nous engageons pas dans la vie de notre quartier, nous nous en fichons des problématiques ou des initiatives locales car nous savons que nous finirons par bouger, que nous finirons par vouloir ou devoir bouger.
Mais comment pouvons-nous espérer (fantasmer ?) du lien, des liens dans une société de passage(s), de flux (tendus) ? Un lien ça se tisse, non ? Ça s’entretient ?
Mais, aujourd’hui malgré la distance, malgré les restrictions sanitaires, nous pouvons, nous avons le pouvoir de « recréer du lien », grâce au numérique, me diront certain·es. Et je suis bien d’accord. Mais jusqu’où pouvons-nous tenir, virtuellement, quasi exclusivement virtuellement, que ce soit parce que nous sommes dispersé·es aux quatre coins du globe, ou prié·es de limiter nos contacts réels ? Jusqu’où pouvons-nous nous entraider, nous consoler, nous indigner, nous faire rire, nous faire vibrer ? Travailler ensemble ? Vivre ensemble ? Habiter ensemble une même société, une même communauté et non pas habiter des e-lieux, des lieux parallèles, des lieux mouvants, des lieux de passages, des non-lieux ?
Et vous, qu’en pensez-vous ? Pensez-vous que nous habitons où nous travaillons ? Ou que nous travaillons où nous habitons ? Avez-vous déjà déménagé pour un travail (et seulement pour un travail ?) ? Et si non, seriez-vous prêt·es à le faire ? Avez-vous déjà déménagé sans travail, ou avez-vous déjà « limité » vos recherches d’emploi à votre région ou votre ville, quitte à laisser passer des opportunités, ailleurs ? Quel est votre rapport et vos expériences à la recherche de logement ? Avez-vous déjà accepté un travail (car c’était un CDI, par exemple) dans l’optique du logement auquel il pourrait vous permettre d’accéder ? Que pensez-vous du télétravail généralisé d’en ce moment ? Et du télétravail, tout court ? Comment le vivez-vous ?
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Coucou ! j’ai trouvé que ton article était super intéressant, et totalement d’actualité avec ce télétravail généralisé comme tu dis 🙂
Je n’ai jamais changé de lieu de vie pour un travail, mais en même temps ça ne fait pas si longtemps que ça que j’ai quitté le domicile parental pour avoir mon propre chez moi ( 4 ans) ^^ J’ai par contre subit longtemps les trajets maison boulot (et je les subis encore…) et je sais que j’aurais pu espérer une maison plus grande pour le même budget si j’avais choisi de m’éloigner un peu. Je savais qu’en m’éloignant les trajets jusqu’au boulot seraient encore plus pénibles… Donc en y réfléchissant j’ai choisi mon lieu de vie en fonction de mon travail et en même temps j’ai choisi ce travail pour avoir la sécurité de l’emploi et avoir un domicile… C’est le chat qui se mort la queue !
Je suis de la team télétravail : quand on a été confiné, télétravailler a été un de mes moments préférés, ça m’a remise énormément en question par rapport à ce à quoi j’aspirais réellement, si mon boulot me convenait vraiment et si le fait de bosser aussi loin de mon domicile ne constituait pas un VRAI problème. Je pense aussi que j’ai mieux vécu le télétravail parce que justement, j’aime mon chez moi : j’ai un jardin, j’ai un peu de place et je ne me sens pas du tout étouffée dans mon domicile, bien au contraire. Je pense que pour beaucoup, se retrouver en télétravail ça a aussi été faire face aux limites de leur propre logement.
Coucou Olivia,
Comme tu dis c’est le chat (team chat plus que serpent, ça ne m’étonne pas 😸) qui se mord la queue.
J’ai aussi des ami·es qui ont apprécié télétravailler et pour lesquel·les la « reprise » a d’ailleurs ensuite été compliquée. D’autant plus que certaines entreprises ont exigé un retour total sur site au moment du premier déconfinement ce qui a pu laisser un goût amer d’incompréhension pour les personnes qui auraient aimé pouvoir continuer à télétravailler de manière occasionnelle d’autant plus qu’elles considéraient avoir pourtant « tenu la barque » pendant le premier confinement et auraient donc pu espérer que leur « autonomie » soient reconnue et prolongée.
C’est clair que le « télétravail forcé » de cette période nous a forcément fait réfléchir sur notre logement et je crois qu’il y a d’ailleurs eu une petite vague de déménagement par la suite. De mon coté j’avais toujours privilégié la localisation (habiter « central ») à la superficie. J’ai changé de ville mais j’ai quand même fait le choix de rester « en ville » mais là je t’avoue que parfois (et de plus en plus souvent) je rêve de campagne. Et en même temps je me dis que lorsqu’on pourra/devra retourner dans nos locaux, je n’ai pas envie d’avoir trop de distance à parcourir. Ce n’est pas facile cette question du chez soi, d’autant plus quand on n’a pas un boulot « stable » et qu’on peut finir par se retrouver à avoir un nouveau boulot à l’autre bout de la ville (c’est d’ailleurs aussi un peu pour ça que le fait d’habiter « central » me rassure je crois), voire même de devoir déménager…
Bonjour, merci pour cet article intéressant!
Je dois admettre que je suis assez satisfaite du télétravail, mais j’aimerais quand même voir mes collègues tous les jours. Maintenant nous avons vraiment moins de contacts…
Bonjour Sandra,
Merci pour ton retour sur ces questions. Pareil, j’en ai marre du manque de contacts (qui dépasse le simple champ du travail par ailleurs). Et plein de tâches qui pourraient se faire simplement deviennent plus compliquées à distance je trouve et on perd aussi tous les petits moments d’échanges informels… C’est un peu comme tout j’ai l’impression il peut y avoir des avantages au télétravail mais à petites doses 🙂