« Ajouter une ligne à son CV ». C’est une expression que j’ai souvent lue et entendue et que j’ai, moi même, plus ou moins désespérément prononcée. Notamment lorsque mon CV n’en avait pas encore beaucoup, de lignes.
Je me souviens de ma première recherche de boulot « officiel », c’est-à-dire encadré par un contrat de travail. J’avais 19 ans, aucune « véritable » expérience professionnelle et j’étudiais à la fac une discipline, à savoir l’histoire de l’art, jugée peu « utile » et « pratique ».
Au moment de faire un CV, pour la première fois, je ne savais pas bien quoi mettre dessus. Dommage qu’à cette époque le minimalisme n’était pas encore tendance, car mon CV aurait sûrement fait un carton.
Alors, j’ai brodé de ci et là, comme je le pouvais. Et je me suis dit que je miserais tout sur ma lettre de motivation. Car c’est la motivation qui compte, n’est-ce pas ?
Par la suite, durant mes études et même après, j’ai cherché à ajouter des lignes à mon CV. À chaque ligne ajoutée, j’éprouvais un sentiment de plaisir. Un peu le même sentiment de plaisir que lorsque qu’on raye une ligne de sa « to-do list ».
Sauf que là nous n’enlevons pas, nous ajoutons. Mais, dans les deux cas, nous avons atteint un « objectif » et nous le marquons à l’encre, ou le tapons au clavier. Bref, nous avons un « résultat » visible. Tangible.
Mais pourquoi avons-nous ce besoin, qui en devient presque obsessif (maladif ?), d’ajouter une ligne à son CV ? Des lignes à son CV ? Le plus de lignes possibles ?
Et non pas d’ajouter « seulement » une ligne, des lignes, mais « la » ligne ? « Les lignes » ? Lignes idéales ? Lignes qui feraient toute la différence ? Notre différence ?
Ajouter « quelque chose » à son CV ?
Pourrions-nous un jour voir (envoyer ? recevoir ?) un CV vide ? Un CV sans rien ? Cela semble peu probable. Et serait même un peu étrange, me direz-vous.
Cela serait un peu comme si une entreprise n’affichait rien sur son site internet. Comment savoir qui elle est ? Ce qu’elle fait ? Ce qu’elle offre ? Ce qu’elle vend. Si elle nous intéresse, ou pas ?
Alors nous remplissons nos CV, un peu comme nous remplirions une fiche produit, comme m’a dit une fois quelqu’un qui se reconnaîtra sûrement en lisant cette ligne. Nous soignons notre présentation, et oui l’apparence compte, il faut la soigner. La designer. La photoshoper. Nous détaillons nos caractéristiques techniques mais aussi, et de plus en plus nos « soft skills », c’est-à-dire nos « compétences comportementales ».
Et lorsque nous n’avons pas grand chose à mettre sur son CV, notamment en début de « carrière », ou plutôt devrais-je dire de « projet(s) professionnel(s) », nous pouvons facilement être pris·e par un sentiment de vide. Un sentiment de vide qui peut faire peur.
La peur du vide ?
Le syndrome de la page blanche, vous connaissez ? Ce bon vieux symptôme longtemps associé aux écrivain·es mais que tout le monde a sûrement un jour ressenti dans sa vie, que ce soit au moment de devoir écrire une dissertation, une présentation, ou encore un discours. Et bien le « CV blanc », CV qui est, après tout, ni plus ni moins qu’une feuille blanche à noircir, peut s’avérer tout aussi « syndromique », il semblerait.
La question de la peur du vide est une question dont nous pourrions probablement débattre des heures durant. Pourquoi avons-nous si peur du vide ? Pourquoi avons-nous besoin de remplir ce qui est (semble ?) vide ? Ce verre qui est vide ? Cette armoire qui est vide ? Ces murs qui sont vides ? Ce temps de silence entre plusieurs personnes qui est vide ?
Car ce qui est vide n’est rien ? Ne dit-on pas d’ailleurs péjorativement d’une personne qu’elle est « vide » ? Comme si c’était la pire chose que nous puissions dire. Que nous puissions être ?
Pourtant un CV est-il le reflet de ce ce que nous sommes ? Un CV vide signifie-t-il que nous sommes une personne vide ? Personne ? Rien ?
Combien de fois ai-je entendu quelqu’un·e s’inquiéter des mois passés au chômage qui allaient faire un « trou » sur son CV ? Laisser un « vide » ? Et combien de fois ai-je, en réponse à cela, lu ou entendu qu’il fallait faire des choses pendant son chômage pour ensuite bien montrer que nous n’avions pas « rien fait » ? Du bénévolat, des cours, des voyages ou que sais-je.
Car à défaut de pouvoir être rémunéré·e pour travailler, il faudrait travailler gratuitement, et même, pour les mieux loti·es d’entre nous, payer pour être « en activité » ? Activité(s) payante(s) dans les deux sens du terme, d’ailleurs. Payante avec son portefeuille et payante en résultat sur son CV. En ligne(s) sur son CV.
Quelque chose est mieux que rien ?
Quelque chose serait mieux que rien ? Ne disons-nous pas qu’il faut d’ailleurs bien commencer quelque part ? La première ligne n’est-elle pas toujours la plus dure à écrire ? À trouver ?
Et quand nous n’avons pas encore eu de « véritable(s) » expérience(s) professionnelle(s), que mettre sur son CV ? Quelque chose, mais quoi ?
Il y a quelques années j’étais retombée sur un de mes premiers CV, de quand j’étais encore étudiante, et j’avais été étonnée de tout ce qu’il y avait dessus. Comment avais-je pu mettre autant de choses ? Autant de lignes ?
Mes années de « formation » commençaient à l’obtention de mon brevet. Après tout, j’étais seulement en première année de fac alors il fallait bien remonter un peu histoire d’avoir quelque chose à mettre, n’est-ce pas ? J’avais listé les sports que je pratiquais, ou ne pratiquais parfois plus depuis des années, ou que je n’avais jamais « vraiment » pratiqué. J’avais même listé ce que j’aimais, et qui « avait sa place » sur un CV bien sûr, comme le cinéma, la littérature, les musées, les échecs… tout en passant sous silence les hobbies moins « glorieux ».
Durant mon stage de fin d’études, je me souviens d’une discussion que nous avions eu avec mes collègues stagiaires. Un des stagiaires était en train de remettre au propre son CV, c’est-à-dire de chercher les lignes qu’il pouvait bien y ajouter. Étant étudiant en géopolitique, il avait jugé bon d’indiquer, comme tant d’autres, ses voyages et sa voisine de bureau s’était moquée en lui disant que cela ne servait à rien de les mettre, que de toute manière « tout le monde voyageait ». Ce à quoi une autre lui avait répliqué que « – non, tout le monde ne voyageait pas ».
Nous n’avons pas tous et toutes la chance (le privilège ?) d’être né·e avec un passeport qui nous permet de voyager facilement et gratuitement comme nous n’avons pas tous et toutes la chance d’avoir des parents qui nous ont emmené aux quatre coins du monde ou ont financé des études, des stages ou des voyages à l’étranger. « Non, tout le monde ne voyage pas », ne peut pas voyager, tout du moins pas « autant », ou aussi « facilement » que d’autres.
En y réfléchissant cette réplique sur la colonne « voyages » d’un CV ne pourrait-elle pas questionner toutes les autres lignes de nos CV ? Ces lignes qui représentent tout ce que nous avons pu « faire », ou plutôt tout ce que nous avons pu (nos familles ont pu ?) nous payer (acheter ?), que ce soit des cours de musique en passant par certains sports plus coûteux que d’autres, à des études dans des écoles onéreuses ou dans des villes aux loyers hors de prix, en passant par des stages non rémunérés ou des bénévolats que nous avons pu faire sans nous soucier de ne pas être rémunéré·e grâce à notre « l’ argent de poche », dépassant pour certain·es le salaire d’autres… et la liste est sûrement encore longue.
De fait, certaines personnes peuvent ajouter plus facilement des lignes à leur CV, sans pour autant forcément être conscient·e de leur chance par ailleurs. Tout comme nous pouvons reprocher à d’autres de ne pas en avoir (« les » avoir ?) sans toujours avoir conscience que le prix à payer pour ajouter de telles lignes n’a pas le même coût pour tous et toutes.
Ajouter des lignes à son CV semble avoir un prix, et ce dans plusieurs sens du terme. D’ailleurs notre rémunération n’est-elle pas tributaire, ou tout du moins influencée, par le nombre de lignes sur nos CV ? Pourtant, des CV aux lignes apparemment bien remplies ne sont pas retenus ? Ajouter des lignes à son CV ne suffirait donc pas, il faudrait encore réussir à ajouter « la » (« les » ?) lignes qui feraient toute la différence ? Notre différence ?
Ajouter « la » ligne à son CV ?
Ajouter une ligne, des lignes à son CV est-ce réellement suffisant ? Ou bien seulement utile ou pertinent ? Pourquoi certains CV, apparemment bien remplis, ne sont pourtant pas retenus ? Cela signifie-t-il qu’ils n’avaient pas la « bonne » ligne ? Les « bonnes » lignes ?
Mais qu’est-ce qu’une « bonne » ligne ? Une ligne qui correspondrait « parfaitement » à un poste ? Aux plus de postes possibles ? Au(x) « meilleur(s) » poste(s) ?
La quête de la « bonne » ligne ?
Je me suis souvent interrogée (comme beaucoup j’imagine ?) sur ce qui faisait la « qualité » d’un CV. Sur ce qui permettait d’être contacté·e après l’envoi d’un CV. D’être sélectionné·e. D’être choisi·e.
Qu’est-ce qui fait qu’un CV est choisi ? Que l’on est choisi·e ? Qu’est-ce qui fait la différence ? Quelle est la ligne (les lignes ?) qui pourrait faire pencher la balance d’un côté plutôt que d’un autre ?
Quelle(s) expérience(s), quelle(s) formation(s), quelle(s) compétence(s), quel(s) hobby(ies), quelle(s) langue(s), quel(s) savoir-faire, quel(s) savoir-être pourrai(en)t jouer en ma faveur ? Me favoriser ? Ou ne pas me favoriser ? Me défavoriser ?
Qu’est ce qui explique qu’un CV soit retenu plutôt qu’un autre ? « Nous sommes au regret de vous informer que votre candidature n’a pu être retenue, d’autres candidat·es avaient un profil/des expériences correspondant davantage à nos attentes. » Qu’est-ce que cela veut dire ? J’avais pourtant l’impression de correspondre au poste, d’avoir les « bonnes » lignes sur mon CV, de cocher les cases requises.
Alors, quelles « bonnes » (meilleures ?) lignes ces CV retenus avaient de « plus » que le mien ? Qu’avaient ces autres candidat·es de « plus » que moi ? Qu’avais-je de « moins » qu’eux et elles ?
Il est d’autant plus difficile de comprendre ce qui a motivé le choix d’un CV sur un autre lorsque nous postulons pour des stages ou des postes de « juniors » qui ne demandent, a priori, pas ou peu d’expérience(s). Comment puis-je déjà ne pas avoir les « bonnes » lignes alors que je n’ai même pas « commencé » à travailler ?
Pourrais-je un jour les avoir, ces « bonnes » lignes, si peu qu’elles existent ? Comment acquérir de l’expérience lorsque nous n’arrivons pas à commencer quelque part ? Que puis-je améliorer dans mon CV pour maximiser mes chances d’être retenu·e à la prochaine candidature ? Quelles lignes, quelles « bonnes » lignes, puis-je ajouter ?
Et même pour des postes qui en requièrent davantage, de l’expérience (des expériences ?), il semble souvent difficile de savoir ce qui fait la différence, d’une candidature à une autre. J’entends souvent dire que cela ne tient pas à grand chose. Qu’avoir les « bons » diplômes , les « bonnes » expériences dans les « bonnes » structures ne suffit pas (plus ?) à décrocher le « bon » boulot. Un boulot, tout court ?
Trop de « bonnes » lignes tuent la « bonne » ligne ?
Trop de « bonnes » lignes tuent-elles la bonne ligne ? Ou, en d’autres termes, les « bonnes lignes » ne suffisent-elles pas (plus ?) à assurer un boulot ? Les candidat·es sont-ils ou elles trop nombreux et nombreuses à correspondre à un poste ? Trop nombreux et nombreuses tout court ? Et avec de trop nombreuses « bonnes » lignes ? Ce qui revient un peu à l’histoire du serpent qui se mord la queue, non ?
Nous ne trouvons pas de boulot alors nous cherchons à ajouter des lignes sur notre CV, le maximum de lignes pour maximiser nos chances de correspondre, de faire la différence, d’être retenu·e. Et pas seulement des lignes, non, des « bonnes » lignes. Et oui le but c’est d’être retenu·e et pas seulement de faire joli.
Quoi que, les deux ne sont pas antinomiques, nous pouvons avoir de « bonnes » lignes, « bien » mises en forme. Mises en valeur. Je ne sais pas vous mais moi je ne sais pas combien de temps j’ai pu passer à « travailler » le design de mon CV. Et oui, à défaut d’avoir un travail, il est possible de « travailler » son CV. Nous le pouvons et donc nous le devons car c’est notre CV qui nous permettra de décrocher un boulot, non ?
Et comme nous ne savons pas vraiment ce qui fait qu’un CV est retenu par rapport à un autre alors nos modifications, ou plutôt devrais-je dire nos « tests » peuvent s’avérer sans fin. Je ne sais pas combien de fois je l’ai modifié, mon CV. Combien de fois j’ai changé les couleurs, la police, les formes, le style… Combien de temps j’ai passé à me renseigner sur les « tendances », sur les perceptions et les analyses de tel ou tel choix visuel. D’envoyer tel « modèle » de CV, puis tel autre « modèle » d’un CV pour voir lequel « fonctionnait » le mieux.
J’ai aussi essayé de « modeler », de « marketer » mes expériences et mes compétences. Comme j’avais l’impression que mon CV était noyé dans d’autres CV à « profil égal » ou à « parcours égal », j’ai essayé de me distinguer. Et si nous pouvons avoir fait la même école, ou avoir eu le même type de poste, nous sommes tous et toutes différent·es, uniques, n’est-ce pas ?
Alors quoi de mieux pour nous distinguer que de mettre en avant notre « personnalité ». D’ailleurs, ne sommes-nous pas appelé·es de plus en plus à mettre en avant nos « soft skills », nos « compétences comportementales », notre « personnalité » car si un savoir-faire s’apprend, un savoir-être serait « inné », « naturel ». Mais si on pousse cette « logique » qui n’a de logique que le nom, cela signifie-t-il que certaines personnes seraient « naturellement » employables tandis que d’autres non ?
Et vous, qu’en pensez-vous ? Quel est votre rapport à votre CV ? Ce rapport a-t-il évolué au fil de vos expériences ?
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Coucou, j’ai tardé à t’écrire ce commentaire (et pourtant j’avais toujours l’article dans le coin de la tête car je l’ai vraiment trouvé super intéressant).
Alors j’ai retrouvé des souvenirs que j’avais totalement oublié en lisant ton article. J’ai fait très peu de cv dans ma vie et en théorie, je n’en aurais plus jamais à faire de ma vie avec l’éducation nationale (en théorie ^^).
Ca a toujours été une galère pour moi de faire des cv, surtout au début de l’âge adulte car comme tu le décris si bien au début de l’article, pas facile de remplir une page quand on a pas ou peu d’expérience. En plus je n’avais aucune compétence que je trouvais utile de mettre en avant : j’adorais chanter, mais je n’étais pas chanteuse, j’avais un blog mais à l’époque j’avais le sentiment que c’était un peu la honte, je ne parlais même pas anglais. Et en même temps qui est-ce que ça intéresse que je parle anglais pour un poste d’hôtesse de caisse dans le supermarché de ma ville ? Je me mettais une pression phénoménale pour le remplir…
Alors par contre je n’ai jamais eu d’injonction à LA BONNE LIGNE, même quand j’ai postulé pour des postes pour lesquels j’étais formée, mais j’ai déjà entendu des amies me parler de leur CV et relater de ce sujet ^^
Je crois par contre que je me suis toujours mis une vraie pression à faire une lettre de motivation qui soit convaincante. je ne crois pas que tu aies fait d’article à ce sujet, si c’est le cas tu serais d’accord pour m’envoyer le lien sur instagram ? (oui je fais ma princesse en commentaire XD)
Coucou Olivia,
Ah, je te comprend moi c’est pareil ça me mettait trop la pression, je ne savais pas trop ce que je pouvais / devais mettre ou pas je crois qu’on est tous et toutes passé·es par là à un moment 🤪 C’est chouette que tu aies pas eu l’injonction à la bonne ligne, moi c’est vraiment un truc que j’ai eu et que j’ai encore aujourd’hui car j’ai l’impression que rien n’est jamais suffisant ou ne correspond pas « parfaitement » alors que pourtant je sais, pour avoir été du côté « recruteur » à certains moments, que ça se joue bien souvent à pas grand chose (qui est est aussi rassurant que frustrant, je trouve).
Et pareil j’ai tendance à « tout donner » sur la lettre de motivation, je n’ai pas encore fais d’article à ce sujet d’ailleurs (princesse 😂) mais c’est un sujet qui me plairait à explorer et sur lequel il y a, j’en suis sûre beaucoup à dire ! Alors dès que je l’écris, je t’envoie le lien sur insta, promis 😉