Pourquoi ne pas faire ce qu’il nous plaît, en pause déjeuner ?

La pause déjeuner, mieux connue sous le nom de « pause déj », a bien souvent été pour moi un casse-tête. C’est un moment qui ne fait officiellement pas partie de nos heures de travail et qui est pourtant l’occasion de s’intégrer à une équipe. Paradoxal, n’est-ce pas ? 

Première pause déjeuner dans un nouveau travail

Il est 11:45 à peine et déjà ma tête tourne à plein régime. Que vais-je faire pour la « pause déj » ? Ou plutôt que devrais-je faire ? Car bien souvent ce sont les injonctions sociales que nous intégrons tous et toutes qui nous pourrissent la vie alors que ce serait tellement plus simple de s’écouter, de se faire confiance et de s’affirmer. Surtout lorsqu’on est jeune mais plus si jeune. 

Je crois que je suis dans cette phase où je suis trop vieille pour pouvoir faire ce que je veux car je suis censée avoir été « éduquée », « socialisée » et « adaptée ». Et donc si je me comporte « mal » c’est que je ne fais pas d’efforts, que je fais « l’enfant ». J’ai atteint l’âge de raison. Et je ne suis pas encore assez vieille pour pouvoir n’en faire qu’à ma tête. Comme ces personnes âgées qui nous passent devant à la caisse du supermarché sans même nous demander alors que nous les laisserions passer, bon sens oblige. 

Alors oui, je suis les règles implicites. Les règles si implicites que j’en oublie que ce sont des règles construites et non pas un fonctionnement inné. Que je ne questionne pas. Que je ne questionne plus. J’ai atteint l’âge de raison. Je ne suis plus une enfant, et pas encore une vieille sage. Je sais prendre sur moi. Je peux prendre sur moi. Je dois prendre sur moi. 

Alors vient l’heure de la pause déjeuner. Un temps qui n’est pas payé. Un temps libre puisqu’il n’est échangé contre aucune rémunération. Et pourtant, je ne me sens pas libre de jouir de ce temps à moi. De cette liberté. 

Plusieurs voix contradictoires s’élèvent dans ma tête et débattent

→ « C’est ma pause déj, je peux faire ce que je veux »
→ « C’est ton premier jour, tu peux au moins faire l’effort de te sociabiliser, ensuite quand tu seras intégrée, tu pourras de temps en temps prendre ta pause en solo »
→ « C’est une bonne occasion d’apprendre à connaître ses collègues de manière plus détendue et informelle »
→ « Ils vont me prendre pour une associable, se dire que je ne fais aucun effort si je ne déjeune pas avec eux » 
→ « C’est important de bien s’entendre avec ses collègues » 
→ « Qu’est-ce que je vais leur dire ? Je suis nulle en small talks » [nda : l’art d’engager une conversation, d’échanger des banalités] 
→ « Et si personne ne veut manger avec moi ? Et si personne ne me parle ? C’est peut être mieux de manger toute seule finalement » 
→ « AHHHHHHHHHHHHHHHH »

J’ai observé trois types principaux de pause déjeuner

La « pause déj » avec des collègues ?

Les premières pauses déjeuner avec des collègues peuvent être un peu gênantes. Après tout, on va partager un moment intime avec des inconnu·es. Et oui, la pause déjeuner c’est aussi dévoiler ses préférences alimentaires, partager des bruits de mastication plus ou moins (in)supportables, se retrouver avec des aliments coincés dans les dents… Et puis, c’est s’intégrer à un groupe, avec des personnes que l’on ne connait pas et que l’on n’a pas choisies.

Oui, les premières pauses déjeuner dans un nouveau boulot c’est un peu revivre l’heure de la cantine la première semaine de rentrée des classes. Et cela peut être traumatisant, non ?

D’ailleurs le repas, culturellement en France, est un moment de convivialité. Pendant longtemps, il m’a semblé inimaginable de manger en public, seule. Aller au cinéma, lire dans un parc, voir une expo ou un spectacle, oui. Aller dans un restaurant, seule. Quelle idée farfelue. Et puis, un jour j’ai passé le cap.

La « pause déj » en solo ?

Spontanément, j’aurai une préférence pour la « pause déj » en solo, ou tout du moins à l’extérieur du lieu de travail. Pourtant, j’ai longtemps pris toutes mes « pauses déj » avec mes collègues. Je pensais que c’était ce qu’il fallait faire. Je mangeais sans eux et elles seulement si j’avais une excuse. Il fallait que je puisse justifier ce choix. J’allais rejoindre des ami·es, j’avais une course à faire, je devais manger rapido pour boucler un truc de boulot… Toutes les excuses étaient bonnes à prendre. Ou plutôt à donner.

Une amie m’a une fois dit qu’elle pouvait occasionnellement manger avec des collègues mais que sa « pause déj » était sacrée, que c’était son moment à elle et qu’elle ne pourrait pas manger tous les jours avec ses collègues. C’était la première fois que j’entendais quelqu’un dire ça. Depuis, quand j’ai envie de manger en solo mais que j’ai du mal à l’assumer, je repense à elle (coucou Cap) et je pose mes ovaires sur la table.

À mon dernier boulot, mes collègues m’avaient dit que chacun·e mangeait quand il ou elle voulait, comme il ou elle voulait et qu’il n’y avait pas de règles. Mais dans les faits, on finissait toujours par se retrouver à la cuisine et à manger ensemble. Et puis un de mes collègues m’a dit qu’il avait dit à une de nos nouvelles collègues qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait pendant la « pause déj » et que c’était quelque chose qu’il aurait aimé qu’on lui dise quand il était arrivé. Et oui, on peut faire ce qu’on veut pendant la « pause déj ». Et dans bien des situations, on peut faire ce qu’on veut. Et pourtant on ne le fait pas. Peur du regard des autres, règles implicites, pression sociale, petite voix intérieure. Alors, cela ne fait pas de mal quand quelqu’un nous le rappelle, n’est-ce pas ?

La « pause déj » en travaillant ?

Et puis parfois, j’ai mangé devant mon ordinateur, en continuant de travailler. Je n’aime pas faire cela. Je ne trouve même pas cela efficace. Et pourtant, je l’ai fait. Parfois car j’étais prise au piège entre deux réunions. Parfois car je me disais que je pourrais prendre de l’avance, quitter plus tôt comme ça. Parfois car je me sentais tellement débordée qu’il me semblait que je n’avais pas une minute à perdre. Car manger ce serait perdre son temps ? Faire une pause ce serait perdre son temps ? Et puis, l’avantage c’est qu’on n’a pas à se demander quoi faire pendant sa « pause déj » comme ça. On bosse et puis c’est tout.

Légalement, si on travaille pendant sa « pause-déj » on doit être rémunéré·e. La durée du travail effectif, définie dans l’Article L3121-1 est « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». Pourtant dans les faits, j’ai rarement vu un.e salarié.e quitter une heure plus tôt car il ou elle avait travaillé pendant sa « pause déj ». Ou bien encore comptabiliser sa « pause déj » passée à travailler dans ses heures de travail et potentiellement en heures supp’ s’il ou elle ne quittait pas plus tôt ensuite.

J’ai également rarement, si ce n’est jamais, vu des salarié.es comptabiliser les déjeuners de travail, ni même les dîners de travail en heures de travail effectif et donc rémunérées. Un petit restau aux frais de l’employeur·euse c’est un moment agréable, c’est une sorte de paiement en nature, non ? Si c’est un repas auquel l’employé·e est libre de participer ou non, pourquoi pas. Mais il me semble que si la personne n’a pas le choix, c’est-à-dire qu’elle se retrouve à la disposition de l’employeur et ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles alors c’est la définition textuel du travail effectif. Pourquoi une activité, dès lors qu’elle pourrait être « plaisante » cesserait-elle d’être considérée comme du travail ?

En pause déjeuner, faisons ce qu’il nous plaît ?

La pause déjeuner n’est pas payée et nous sommes donc libres de faire ce qu’il nous plaît. Que ce soit en solo ou avec des collègues. C’est notre moment à nous. Si nous devons travailler pendant cette pause, n’oublions jamais qu’elle doit nous être rémunérée, sinon cela s’appelle du bénévolat (de l’exploitation ?). Et dans une société basée sur la valeur marchande, ça reviendrait à dire que notre temps n’a aucune valeur. Ce qui est faux, puisque nos employeur·euses paye notre temps.

Les « pauses déj », ce n’est pas toujours facile, surtout les premières. L’intégration à un groupe est difficile. J’ai eu certains des pires moments de ma vie en « pause déj » avec des collègues, mais aussi certains de mes meilleurs fous rires. Des moments de partage, de débat(s), de découverte(s) culinaire(s). Et j’ai aussi eu certaines de mes meilleures pauses, dans un parc, seule au soleil. Ou en retrouvant des ami.es.

Et vous, comment vous vivez la pause déjeuner ? Vous préférez la passer avec des collègues, en solo, ou des ami·es extérieures ? Cela vous est déjà arrivé de bosser en mangeant/ manger en bossant ? Et si oui, avez-vous comptabilisé ce temps dans vos heures de travail ?

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